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22 janvier 2019

Les goûts et le droit d’auteur

C-310/17 Levola Hengelo BV/Smilde Foods BV

La Cour de justice de l’Union européenne a jugé le 13 novembre 2018 que la saveur d’un fromage ne pouvait pas bénéficier d’une protection par le droit d’auteur.

L’affaire avait été transmise par les juridictions néerlandaises à la Cour de justice, chargée de préciser les contours de la notion d’« œuvre » au sens de la directive droit d’auteur – Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.
En l’espèce, Levola, une société de droit néerlandais commercialisait un fromage à tartiner à la crème fraiche et aux fines herbes nommé « Heksenkaas », et dont elle détenait les droits de propriété intellectuelle. En 2014, la société néerlandaise Smilde s’est mise à fabriquer, pour une chaîne de supermarchés, le « Witte Wievenkaas », un fromage au goût fortement similaire à celui d’« Heksenkaas ».

Levola a alors poursuivi Smilde en justice sur le fondement d’une atteinte à ses droits d’auteur, réclamant que cette dernière cesse la commercialisation de son produit. Smilde a interjeté appel de la décision du tribunal de première instance qui s’était prononcé en faveur de Levola. En appel, les juges néerlandais ont décidé de transmettre le dossier à la Cour de justice, par un renvoi préjudiciel, afin de déterminer si la saveur d’un produit alimentaire est protégeable par la directive sur le droit d’auteur.

La Cour de justice a ici retenu que la saveur d’un produit alimentaire ne pouvait pas être qualifiée d’« œuvre », et ne pouvait donc pas être protégée par le droit d’auteur en vertu de ladite directive.

En effet, pour qu’une œuvre soit susceptible de protection, il faut qu’elle constitue l’expression d’une création intellectuelle originale. L’œuvre doit donc être identifiable avec suffisamment de précision et d’objectivité.

Or, contrairement à une œuvre littéraire, musicale ou picturale, l’identification d’une saveur alimentaire dépend de sensations et expériences gustatives subjectives et qui varient en fonction des goûts de chacun, de l’âge, du contexte et des habitudes de consommation. En outre, il n’existe pas encore de techniques scientifiques capables d’identifier avec précision et objectivité la saveur d’un produit alimentaire particulier et de le différencier de produits ayant un goût similaire.

En 2006, la Cour de cassation s’était déjà prononcée sur une question similaire concernant la protection de l’odeur d’un parfum par le droit d’auteur. A l’occasion de cet arrêt, elle avait conclu que : « la fragrance d’un parfum, qui procède de la simple mise en œuvre d’un savoir-faire, ne constitue pas au sens des textes précités, la création d’une forme d’expression pouvant bénéficier de la protection des œuvres de l’esprit par le droit d’auteur » (Civ. 1, 13 juin 2006, n° 02-44718). Position qui a été confirmée par la chambre commerciale en 2013 en raison du manque de précision de l’identification de la forme sensible de la fragrance (Com., 10 décembre 2013, n° 11-19872).

La Cour de justice retient donc les mêmes éléments que les juges de cassation français pour refuser la protection du droit d’auteur à la saveur d’un produit alimentaire.

Cette décision vient limiter l’interprétation de la directive et en particulier le sens du mot « œuvre ». Les fabricants de produits alimentaires devront donc trouver un autre moyen pour transmettre objectivement et intelligiblement la saveur de leurs produits. Ils pourront alors avoir recours à la protection offerte par le droit des brevets, mais celui-ci n’offre pas une solution idéale notamment puisqu’il suppose la description précise de l’invention, donc de révéler la recette complète du produit alimentaire. S’agissant de la protection par le droit des marques, l’obstacle a longtemps été l’exigence imposée par les textes d’une représentation graphique objective, intelligible et claire du signe déposé.

Cependant, le « Paquet Marques » est venu supprimer cette condition, ouvrant donc la voie à d’autres systèmes d’identification (Directive 2015/2436 du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2015 rapprochant les législations des États membres sur les marques ; Règlement 2015/2424 du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2015).