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5 mars 2008

Les oeuvres créées par ordinateur

Publication

Le concept d’auteur à l’ère numérique. . L’ordinateur est d’abord un outil mis à disposition de l’auteur pour parvenir à la création de l’œuvre. Il ne crée aucune œuvre. En revanche, lorsque il participe à la création finale de l’œuvre en influant sur le résultat de celle-ci, on peut parler d’œuvres créées par ordinateur. Ainsi l’œuvre créée par ordinateur se distingue-t-elle forcément du logiciel utilisé, lequel a une autonomie et un régime distincts. Pour bénéficier de la protection du droit d’auteur, l’œuvre créée par ordinateur devra remplir les conditions prévues par la loi, notamment avoir une forme originale. L’originalité selon la jurisprudence traditionnelle se caractérise par l’empreinte de la personnalité de son auteur.

En matière d’œuvres créées par ordinateur, l’appréciation du critère d’originalité a été précisée par la Cour de cassation de manière particulière dans deux arrêts rendus par l’assemblée plénière 7 mars 1986. Effort intellectuel. Dans l’une des espèces, un chef comptable d’une société avait réalisé de sa propre initiative des programmes informatiques et les avait utilisés pour la comptabilité de la société.

La Cour de cassation a considéré que l’auteur avait fait preuve d’un effort intellectuel personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante… les logiciels conçus portant la marque de son apport intellectuel (Cass. ass. plénière, 7 mars 1986, Société Babolat Maillot Witt c/Pachot). Dans le domaine musical, les juges ont estimé que « la composition musicale assistée par ordinateur, dès lors qu’elle implique une intervention humaine, un choix de l’auteur, conduit à la création d’œuvres originales et comme telles protégeables quelle que soit l’appréciation qui peut être portée sur leur qualité » (TGI Paris 5 juillet 2000). Quel que soit le critère retenu pour caractériser l’originalité, l’utilisation d’un programme informatique n’exclut donc pas l’originalité.

Une fois réunies les conditions pour bénéficier de la protection du droit d’auteur, reste à savoir qui peut être désigné comme auteur lorsqu’il est recouru à l’ordinateur dans le processus de création de l’œuvre : le créateur du logiciel ? L’utilisateur de celui-ci ? Les deux ? Autre question, celle du régime applicable. On peut d’emblée écarter l’idée selon laquelle la paternité d’une œuvre créée par ordinateur devrait être attribuée à l’ordinateur lui-même.
Ce serait nier l’existence d’une intervention humaine, laquelle est toujours présente dans le processus de création de l’œuvre. Ce serait également oublier, comme le rappelle la doctrine, que le monopole ne peut naître normalement que sur la tête d’une personne physique. Il est aussi difficile d’admettre que l’auteur du logiciel utilisé a du seul fait de l’utilisation du logiciel collaboré à l’œuvre finale. L’appréciation devra se faire au cas par cas. Si l’œuvre est créée à l’aide d’un programme préexistant, le régime de l’œuvre composite s’applique-t-il ? Rappelons que l’article L.113-2, alinéa 2 du CPI dispose qu’« est dite composite l’œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur de cette dernière ». Il est cependant peu probable que ce statut s’applique à l’œuvre créée à partir d’un logiciel préexistant dès lors que l’œuvre nouvelle n’incorpore pas vraiment le programme comme une œuvre préexistante.

Si une œuvre littéraire est créée partiellement ou totalement à l’aide d’un programme informatique, quel sera son régime juridique ? La jurisprudence récente rendue dans le domaine musical, terrain de prédilection de la création d’œuvres par ordinateur, nous donne des éléments de réponses sur la transposition de ces situations dans le domaine littéraire. Un arrêt rendu par la cour d’appel de Paris (3 mai 2006) rappelle que « dans tous les cas de figure l’ordinateur, aussi sophistiqué soit-il, ne peut se substituer à la pensée musicale créatrice, n’apportant un soutien logistique à l’œuvre de l’esprit dont seuls le compositeur, le musicien interprète et le directeur artistique gardent la maîtrise tout au long de la réalisation sonore ». Autrement dit, l’ordinateur n’a ni la faculté de se substituer à l’homme ni celle de faire obstacle à la reconnaissance de ses droits. Ne doit-on pas ici reprendre la conclusion du professeur Lucas selon lequel « le concept d’auteur ne sort pas bouleversé de sa confrontation avec l’environnement numérique » ?

Publications CHRONIQUE JURIDIQUE – LIVRES HEBDO 05 mars 2008