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13 mars 2009

La validité du constat

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ISABELLE WEKSTEIN

La validité du constat – Isabelle Wekstein – Livres Hebdo – 13/03/2009

Les contrefaçons sur Internet se développent de plus en plus. Les éditeurs, auteurs, libraires qui souhaitent agir en justice doivent préalablement rapporter la preuve des actes de contrefaçon qu’ils veulent poursuivre. Se pose donc la question des moyens légalement admissibles devant un juge. En effet le succès d’une action en contrefaçon est notamment subordonné à la preuve que doit verser aux débats le demandeur à l’action. En principe la contrefaçon, fait juridique, se prouve par tous moyens (productions de factures, échanges de courriers, témoignages). Il est d’ailleurs intéressant de relever que cette règle a récemment été réaffirmée par la loi du 29 octobre 2007. Cependant constater un acte de contrefaçon commis sur Internet peut en pratique se révéler plus complexe. Les victimes des actes de contrefaçon peuvent avoir recours à des constats établis par huissiers de justice.

Les huissiers sont ainsi habilités à effectuer des constatations matérielles mais ces constatations ne doivent pas comporter des préconisations sur les suites à donner ou un avis juridique. La Cour de cassation a ainsi pu rappeler que ces constats n’avaient que « la valeur de simples renseignements », que l’huissier ait été commis par justice ou qu’il ait procédé à la requête de particuliers (Cass.Soc 5 Fév 1992).

S’il ne fait aucun doute que les constats d’huissier peuvent être produits devant les juges, leurs conditions de validité sont de plus en plus exigeantes. L’huissier doit ainsi suivre un certain processus d’ordre technique pour que le constat soit valable : -l’huissier doit suivre le même cheminement que n’importe quel internaute pour accéder aux pages web litigieuses, -les pages visualisées démontrant la contrefaçon doivent être capturées pour être ensuite matérialisées, -la mémoire de l’ordinateur avec lequel il est procédé au constat doit être vierge et vidé de ses caches (la mémoire cache est celle qui sert à stocker les informations les plus utilisées et à accélérer les traitements, afin de retrouver les données plus rapidement). La Cour d’Appel de Paris a ainsi écarté un constat au motif que l’huissier avait procédé à l’aspiration d’un site internet (ce procédé consiste en fait à copier l’intégralité d’un site internet sur un disque dur , CA Paris 4e ch.25 oct 2006).

L’huissier doit donc se limiter à capturer les pages d’écran du site internet et non à copier celui-ci.
La Cour a également, dans une autre décision du 17 novembre 2006, jugé qu’un constat d’huissier n’avait aucune valeur probante dès lors que l’huissier avait utilisé un ordinateur dont le fournisseur d’accès à Internet offrait à ses clients un serveur proxy et que celui-ci n’avait pas été désactivé. Le serveur proxy est un dispositif technique qui permet notamment de stocker dans la mémoire de l’ordinateur les pages consultées par son utilisateur afin d’y accéder plus rapidement. Le Tribunal de Grande Instance de Mulhouse a adopté la même solution en ôtant toute valeur probante au constat au motif que « l’huissier ne précise pas s’il a vidé la mémoire cache de l’ordinateur ayant servi à établir le constat, qu’il n’affirme pas davantage avoir vérifié si la connexion au réseau internet se faisait ou non par un serveur proxy » (TGI Mulhouse 7 février 2007). En conclusion l’huissier doit pour établir un acte de contrefaçon sur Internet respecter une méthodologie stricte.

Il doit vérifier les mémoires caches de son ordinateur et le vider, effacer les historiques, désactiver la connexion au serveur proxy, avant de procéder à tout constat, de manière à accéder aux pages internet qui sont réellement en lignes et enfin ne conserver que des impressions desdites pages web. Il doit également veiller à respecter un strict devoir de neutralité (TGI Paris 2 juillet 2007 « second life »). Il faut noter que l’adresse IP de l’ordinateur qui a servi à l’infraction ne peut être relevée par l’huissier sous peine de constituer une violation de la protection des données personnelles, ce dont ne semble pas se soucier actuellement le législateur sur le point de voter la loi « Création et Internet » cette semaine.

Publications LIVRE HEBDO 09 mars 2009