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26 septembre 2008

Expression générique et titre d’ouvrage

Publication

ISABELLE WEKSTEIN

De plus en plus d’auteurs déposent le titre d’une œuvre en tant que marque. Rappelons que le titre bénéficie d’une protection spécifique en droit d’auteur. L’article 112-4 alinéa 1er du CPI dispose ainsi que « le titre d’une œuvre de l’esprit, dès lors qu’il présente un caractère original, est protégé comme l’œuvre elle-même ». L’originalité peut résulter d’une réunion insolite de termes courants (exemple du titre Des poissons et des hommes reconnu comme original) mais la réunion insolite de termes n’est pas nécessaire. L’alinéa 2 de l’article 112-4 précité accorde une autre protection dès lors que le titre d’une œuvre nouvelle de genre identique crée un risque de confusion avec l’œuvre antérieure dans l’esprit du public.

Une protection complémentaire est ainsi accordée sur le terrain de la concurrence déloyale. Troisième forme de protection : celle instaurée par le droit des marques. L’intitulé de l’ouvrage est alors déposé afin de désigner certains produits tels qu’une collection de livres ou bien encore une revue. Néanmoins, cette protection n’est pas absolue et le Code de la propriété intellectuelle exige que le titre déposé soit distinctif. Selon l’article 711-2 du CPI, sont dépourvus de ce caractère « […] les signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service ».

Illustrant parfaitement ces trois formes de protection, une décision du tribunal de grande instance de Paris (19 février 2008) vient de décider que le titre d’ouvrage Les enfants cachés n’était protégeable ni par le droit des marques, ni par le droit d’auteur, ni encore par le droit de la responsabilité civile. Le demandeur est l’auteur d’un ouvrage intitulé Les enfants cachés publié en 1993 traitant de l’histoire des enfants juifs qui, pour échapper à la déportation, ont été cachés par des réseaux de résistance dans des familles d’accueil. Il a déposé l’expression « Les enfants cachés » en novembre 2006. En avril 2006 était paru un second livre intitulé également Les enfants cachés qui raconte l’histoire des enfants C…, enfants juifs cachés pendant la guerre, baptisés, et que les accueillants ont refusé de rendre à leur famille juive au motif qu’ils étaient devenus catholiques.

Le tribunal rejette l’action du demandeur sur quatre fondements invoqués par une motivation qui illustre assez bien les limites de la protection d’un titre lorsqu’il n’est qu’une expression générique : – sur la marque « Les enfants cachés » : le tribunal relève qu’au jour du dépôt de la marque l’expression « Les enfants cachés » était une expression générique pour parler des enfants juifs cachés pendant la Seconde Guerre mondiale. Le demandeur n’est pas l’auteur de cette dénomination qu’il a connue lors du congrès de 1991 auquel il a participé et ne peut s’approprier ces termes pour obtenir des droits opposables à tous. Le dépôt de la marque est donc jugé frauduleux et tardif. – sur le droit d’auteur : les juges se fondent sur le fait que le titre est constitué de trois mots, d’abord un nom et un adjectif « enfants » et « cachés » qui sont utilisés dans leur sens premier et usuel. L’« adjonction de l’article défini “les” donne à l’expression son sens générique ». – sur la concurrence déloyale : pour écarter le grief de concurrence déloyale, le tribunal retient que les ouvrages ne relèvent pas du même genre : le premier livre, du plaignant, appartient à la catégorie « documentaire » tandis que le livre attaqué est un livre d’historienne.

On relèvera la subtile segmentation mise en avant par le juge pour écarter l’application du texte. – sur le parasitisme : le tribunal retient que le demandeur tente en réalité d’empêcher d’autres auteurs de travailler et faire connaître leur travail sur différentes faces des problèmes rencontrés par les « enfants cachés ». Rien ne sert de « surprotéger » le titre d’un ouvrage. S’il n’est que la reprise d’une expression générique, ni le droit d’auteur, ni le droit des marques ne pourront conférer la moindre protection.

Publications CHRONIQUE JURIDIQUE – LIVRES HEBDO 26 septembre 2008