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28 mars 2008

De l’adaptation de l’oeuvre collective

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La décision du 7 novembre 2007 marque un pas supplémentaire vers la liberté de l’éditeur.

L’adaptation de l’œuvre collective est une question qui se pose de la manière suivante : dans quelle mesure un éditeur peut-il faire évoluer une œuvre collective sans l’accord des contributeurs de l’œuvre initiale ? L’un des contributeurs du Dictionnaire de l’Histoire de France a assigné Larousse en raison de l’édition d’une nouvelle version du dictionnaire modifiée par rapport aux éditions précédentes. Celui-ci, qui avait participé à l’écriture d’une vingtaine d’articles, s’était vu en outre confier une mission de conseiller éditorial de l’ouvrage et avait participé à l’écriture de la préface.

L’éditeur, qui souhaitait recentrer l’ouvrage sur des entrées à caractère proprement historique, décida de publier en 2006 une nouvelle version en supprimant une partie des articles du plaignant ainsi que son nom de la page de titre et de la page de garde. L’intérêt de la décision réside dans son appréciation des limites posées à l’adaptation de l’œuvre collective et des critères posés pour apprécier la qualité d’auteur du directeur de collection.

• Aux termes de l’article L.113-2 du CPI, une personne physique ou morale qui a pris l’initiative de créer une œuvre, qui « l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé », est considérée juridiquement comme l’auteur originaire. L’impulsion du promoteur et la fusion des contributions qui excluent l’attribution de droits distincts sont les deux critères essentiels de la qualification de l’œuvre collective.

L’entrepreneur dispose donc des droits patrimoniaux et moraux sur l’œuvre collective qui lui permettent en principe de l’exploiter sans avoir à obtenir l’autorisation des contributeurs. Subsiste cependant un droit moral des participants sur leur contribution dès lors que ces dernières sont identifiables. La décision du 7 novembre 2007 illustre l’effort de conciliation, par la jurisprudence, de ces droits concurrents. En l’espèce, les juges retiennent que l’adaptation en 2006 du dictionnaire litigieux initial paru en 1999 revêt la qualification d’œuvre collective : « […] l’ouvrage de 2006 est une œuvre collective, quand bien même il aurait été totalement modifié. De plus, bien qu’abrégé pour des besoins commerciaux, cet ouvrage reste une version du dictionnaire d’origine avec notamment de nombreuses entrées culturelles. » Ce qui est intéressant ici est l’affirmation selon laquelle une totale modification de l’œuvre collective n’en modifie pas le statut.

La Cour de cassation a statué le 16 décembre 1986 en rappelant que le responsable de la publication est en droit d’apporter aux contributions des différents auteurs « les modifications que justifie la nécessaire harmonisation de l’œuvre dans sa totalité ». Le jugement de 2007 semble aller plus loin et permettre aux éditeurs de modifier complètement l’œuvre sans forcément respecter une finalité particulière. En revanche, ces modifications ont une limite liée à la mention du nom du contributeur. Le tribunal estime en l’espèce que Larousse a commis une faute en supprimant le nom du contributeur sur la page de titre et de la page de garde. L’éditeur est condamné à payer la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts au contributeur. • Sur la qualité d’auteur du contributeur au titre de sa fonction de conseiller éditorial, le tribunal rappelle que la mission de conseil éditorial ne confère pas automatiquement la qualité de coauteur de l’œuvre collective.

Tout en relevant que le conseiller éditorial a pris une part prépondérante dans la conception de l’ouvrage, les juges estiment que cette part est insuffisante à établir qu’il est l’auteur de l’ouvrage et que celui-ci porte l’empreinte de sa personnalité. Les juges laissent ainsi entendre que le directeur de collection aurait pu prouver sa qualité de coauteur tout en maintenant la qualification d’œuvre collective alors que ces deux notions sont exclusives l’une de l’autre. Le tribunal tranche la question négativement en se fondant sur l’existence en l’espèce d’un travail d’équipe mais semble assouplir les conditions de reconnaissance de la qualité d’auteur au conseiller éditorial.

Publications CHRONIQUE JURIDIQUE – LIVRES HEBDO 28 mars 2008