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4 avril 2016

La compétence des juges du fond dans l’évaluation du montant de la redevance pour copie privée

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L’exception de copie privée permet de reproduire une œuvre protégée par le droit d’auteur pour un usage strictement privé. En contrepartie, une redevance est due par les fabricants de supports d’enregistrement permettant la reproduction des œuvres à titre privé. Par la suite, cette redevance est reversée de différentes manières aux ayants-droit.

L’article L. 311-5 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que les types de support, les taux de rémunération et les modalités de versement de cette redevance sont déterminés par une commission présidée par un représentant de l’Etat et composée de représentants des ayants-droit, des fabricants et importateurs des supports et des consommateurs. Cette commission fait actuellement l’objet de débats parlementaires dans le cadre du projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine adopté en deuxième lecture à l’Assemblée nationale le 22 mars 2016.

Dans un contexte où la compétence, la composition de la commission ainsi que l’assiette même de la compensation équitable due au titre de la copie privée sont discutés au Parlement, la 1ère Chambre civile de la Cour de cassation vient de rendre un arrêt le 17 mars 2016 (n°15-10.895) relatif à la compétence du juge judiciaire dans l’évaluation de la rémunération pour copie privée.

En l’espèce, la société Sony redevable de la redevance a procédé à des déclarations de supports auprès de la société Copie France chargée de la perception et de la répartition de la rémunération pour la copie privée sonore et audiovisuelle. Copie France a émis des notes de débit que Sony n’a jamais voulu payer. C’est ainsi que Sony a contesté la légalité de ces notes auprès du juge judiciaire et a demandé l’avis du juge administratif par un sursis à statuer (Conseil d’Etat, 17 décembre 2010, n°310195).

En effet, le Conseil d’Etat a annulé les notes de débit (deux barèmes) en raison du fait que la commission avait pris en compte les copies de sources illicites dans la détermination des taux de la rémunération applicables aux différents supports.

Le 7 octobre 2014, la Cour d’appel de Paris a quant à elle constaté que les factures litigieuses étaient privées de fondement juridique et a ordonné la restitution à la société Sony par Copie France des sommes déjà payées. En revanche, la Cour d’appel valide l’indemnité due sur une certaine période et l’évalue à 290.000 € selon ses propres calculs. Elle ordonne aussi la compensation judiciaire des sommes dues.

La société Sony forme un pourvoi en cassation. Elle reproche à la Cour d’appel de s’être substituée à la commission copie privée, contrevenant ainsi au Code de la propriété intellectuelle, et d’avoir violé la séparation des pouvoirs.

La Cour de cassation se fonde sur l’article L. 311-1 du Code de la propriété intellectuelle et sur la directive européenne 2001/29/CE du 22 mai 2001 sur l’harmonisation du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information. La Cour pose le principe, rappelé à plusieurs reprises par la Cour de justice de l’Union européenne, d’une obligation de résultat quant à la perception effective de la compensation : « Les titulaires d’un droit exclusif de reproduction doivent recevoir une compensation équitable destinée à les indemniser de leur préjudice que l’application de l’exception de copie privée leur cause ».

A ce titre, la Cour de cassation pose le principe selon lequel il appartient au juge judiciaire de procéder à l’évaluation de cette compensation, calculée sur la base du critère du préjudice causé aux ayants-droit par l’introduction de l’exception de copie privée. La Cour d’appel a ainsi respecté le principe de la séparation des pouvoirs et de l’autorité attachée aux décisions du juge administratif.

Cet arrêt apporte ainsi une limitation à la compétence de la commission copie privée et offre une capacité d’action aux industriels et consommateurs, moins représentés par la commission que les ayants-droit qui composent la moitié des membres de la commission.