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14 mars 2022

CryptoMan et le temple des V Directives

Les récentes sanctions prises ces derniers mois par les autorités européennes chargées de veiller à la mise en œuvre du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme sont l’occasion de s’intéresser aux mesures concernant les crypto-actifs qui sont désormais au cœur du futur dispositif européen de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

En juillet dernier, la Commission européenne présentait en effet le paquet législatif destiné à raser le temple des « V Directives » en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux qui est devenu obsolète à l’ère de la finance décentralisée et qui est à l’origine de constructions législatives hétéroclites au sein des Etats membres de l’Union européenne. L’arrivée de CryptoMan, qui est un personnage de Marvel, aura eu raison de l’édifice qu’il était temps de rénover.

L’apport essentiel de la réforme proposée, bien au-delà des mesures envisagées, sera de contribuer à une harmonisation des législations des Etats Membres en faisant le choix d’instituer un corpus réglementaire unique, notamment par le recours à des règlements applicables directement au sein des Etats Membres, sans transposition préalable.

Il est en effet nécessaire qu’une harmonisation du cadre juridique et réglementaire de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme intervienne, car le caractère disparate des réglementations de chaque Etat Membre dans ce domaine constitue une vulnérabilité majeure du dispositif actuel, un coût pour les opérateurs et un frein en matière d’innovation. Même si cela peut paraître paradoxal, l’innovation — y compris en matière de finance décentralisée — a besoin de s’appuyer sur des règles cohérentes et uniformes. À défaut, l’aléa législatif peut devenir confiscatoire pour les fondateurs et les investisseurs lorsque l’apparition de normes ultérieures empêche le retour sur investissement espéré. Quand l’innovation est réglementée a posteriori, il y a ainsi toutes les chances que le législateur exproprie sans le vouloir ceux qui y ont contribué.

Parmi les trois règlements prévus dans le paquet de mesures figure le règlement qui modifiera l’actuel règlement (UE 2015/847) sur l’échange d’information accompagnant les transferts de fonds et qui introduira pour les prestataires de services sur crypto-actifs des obligations en matière de traçabilité des crypto-actifs.

Les dispositions de ce règlement sur la traçabilité des crypto-actifs complètent le paquet sur la finance digitale qui fut annoncé en 2020 par la Commission européenne et dont fait partie la future directive sur les marchés de crypto-actifs (MiCA) avec la très observée définition qu’elle donne des crypto-actifs.

Ce règlement devrait mettre le droit européen à niveau au regard de la recommandation n° 15 du Groupe d’action financière (GAFI) qui a fait l’objet en 2019 d’une note d’interprétation du GAFI pour préciser son application aux crypto-actifs (« actifs virtuels » étant l’expression employée par le GAFI). Il s’agit principalement de l’introduction pour les crypto-actifs de la « règle de voyage » définie par le GAFI et qui porte sur l’échange d’informations sur l’émetteur et le bénéficiaire à l’occasion d’un transfert.

Cette proposition de règlement, aussi bienvenue soit-elle pour y voir clair, sera-t-elle efficace et quelles seront les conditions de son efficacité ?

Le choix de faire peser la réglementation sur les prestataires plutôt que de réglementer la technologie elle-même évite d’opérer des distinctions en fonction des technologies et d’engendrer une politique favorisant certaines technologies plutôt que d’autres (neutralité technologique). De plus, en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, c’est bien le transfert qui est générateur d’un risque et non la technologie elle-même.

Toutefois, toute réglementation a un coût pour celui qui s’y trouve assujetti et les prestataires de services sur crypto-actifs peuvent avoir de justes raisons de s’en inquiéter. D’une part, le fait qu’il n’y ait pas d’antécédents les prive d’une certaine visibilité quant à l’avenir et, d’autre part, la question peut se poser de savoir si certains modèles économiques, qui s’affranchissent de toute réglementation et donc de toutes charges, pourront survivre dans un environnement où la protection de l’intérêt collectif a un coût.

La technologie des registres distribués (DLT) et l’identité numérique portent sans doute en elles la solution, mais la voudrons-nous ?