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25 mars 2020

COVID-19 : Contrats commerciaux, imprévision et force majeure pendant l’épidémie

Dans son « Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2020-306 en date du 25 mars 2020 », le gouvernement rappelle que la force majeure sera susceptible de s’appliquer aux contrats commerciaux.

En droit commercial, les mécanismes de la force majeure, et plus récemment de la révision pour imprévision, permettent de modifier ou de rompre les contrats après la survenance d’évènements particuliers. Au vu de l’application faite de ces mécanismes lors des précédentes épidémies se dessinent quelques pistes concernant la situation actuelle et ses conséquences sur les contrats commerciaux.

La force majeure : suspension ou exonération d’obligations

Un évènement présente les caractéristiques de force majeure « lorsqu’il échappe au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur » (article 1218 du Code civil).

Lorsqu’elle est retenue par le juge, la force majeure permet de suspendre l’obligation d’une partie si le contrat est temporairement inexécutable, voire d’anéantir rétroactivement le contrat si cette impossibilité est définitive, avec une remise en l’état d’où les parties se trouvaient avant la conclusion[1] dont la portée varie en fonction de l’économie du contrat. Il est probable que l’anéantissement du contrat entraîne la restitution du prix et la restitution du matériel livré. De même, l’absence d’exécution d’une prestation entraînera la restitution de son prix.

Cependant, les tribunaux retiennent rarement l’application de la force majeure aux contrats commerciaux. A titre d’exemple, des épidémies comme celles de la fièvre Ebola ont pu recevoir cette qualification[2], mais seulement lorsqu’elles présentaient les caractéristiques de la force majeure (extériorité, imprévisibilité et irrésistibilité), tandis qu’elle a été écartée :

La chronologie est importante : du fait du critère d’imprévisibilité, la force majeure ne peut être retenue pour un contrat qui aurait été conclu en connaissance des mesures prises par le Gouvernement et de la situation résultant de l’épidémie. Rien n’empêche cependant i de prévoir dès à présent dans de futurs contrats l’inclusion du Covid-19 dans la définition de la « force majeure » afin d’élargir la notion.

Par ailleurs, les mesures prises par le gouvernement dans le décret du 16 mars 2020 afin de restreindre le déplacement des personnes pourront très probablement être reconnues comme un évènement de force majeure car répondant aux critères de l’imprévisibilité, de l’extériorité et de l’irrésistibilité. Le Rapport précédemment cité semble l’affirmer.

La révision pour imprévision

L’Ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats a intégré en droit français un nouveau mécanisme longtemps rejeté par le juge judiciaire : la révision pour imprévision, définie à l’article 1195 du Code civil et applicable aux contrats conclus à compter du 1er octobre 2016. La théorie de l’imprévision permet à une partie de modifier ou mettre fin à un contrat dans le cas d’un changement de circonstances imprévisible lors de la formation du contrat, et entrainant une exécution du contrat excessivement onéreuse pour elle, sans qu’elle ait accepté d’en assumer le risque.

L’application de la théorie de l’imprévision passe par plusieurs étapes : l’un des co-contractants doit effectuer une demande de renégociation, qui en cas de refus ou d’échec des négociations permet aux parties de convenir de résoudre le contrat ou de saisir le juge pour qu’il l’adapte. En cas d’absence d’accord des parties dans un délai « raisonnable », l’une des parties peut alors saisir le juge pour qu’il mette fin au contrat ou le modifie.

Sans plus de précisions sur le terme de « circonstances imprévisibles », ce mécanisme pourrait être applicable aux contrats dont l’exécution est devenue ruineuse pour un cocontractant du fait de la pandémie en cours, à condition toutefois qu’il n’ait pas prévu au contrat d’assumer le risque en cas d’imprévision au sein du contrat. C’est au juge qu’il reviendra de trancher si la partie aurait pu raisonnablement prévoir ce risque, et si l’exécution est réellement devenue « excessivement ruineuse ».

Comme pour la force majeure, il est également possible de prévoir une clause d’imprévision au contrat, qui n’aura cependant d’effet que pour un prochain évènement.


[1] CA Reims, 3 octobre 2017, n°14/02758.

[2] CA Paris, 17 mars 2016.

[3] CA Paris, 17 mars 2016, n°15/04263.

[4] CA Basse-Terre, 17 déc. 2018, n°17/00739.

[5] CA Besançon, 8 Janvier 2014, n°12/02291.