La compétence du juge français pour des actes de contrefaçon commis sur des sites Internet étrangers
ISABELLE WEKSTEIN
Lorsqu’une contrefaçon de droits d’auteur est commise sur un site Internet étranger, accessible en France, la question qui se pose de plus en plus fréquemment pour les victimes de ces actes de contrefaçon est celle de savoir si le juge français est compétent. En effet dans la mesure où internet est accessible en tous lieux du territoire national, plusieurs choix sont a priori possibles pour la victime de l’acte de contrefaçon : -saisir le juge du domicile du défendeur ; mais lorsque le site est étranger, cela l’oblige à agir devant une juridiction étrangère, -saisir le juge du lieu d’établissement du serveur (là où la contrefaçon est injectée sur le réseau) mais la victime risque, là encore, de se trouver contrainte d’assigner devant une juridiction étrangère, -saisir un juge du territoire français dès lors que l’acte de contrefaçon est accessible en France.
Ces options résultent de l’application de l’article 46 du Code de procédure civile qui dispose : « Le demandeur peut saisir à son choix, outre la juridiction du lieu où demeure le défendeur : -… -en matière délictuelle, la juridiction du lieu du fait dommageable ou celle dans le ressort de laquelle le dommage a été subi ;…. ». Ce texte a cependant donné lieu à des interprétations divergentes de la jurisprudence au fil du temps. Ainsi dans un premier temps la Cour de cassation dans un arrêt rendu en 2003 (Aff. : Roederer) a adopté une règle consistant à déclarer le juge français compétent pour connaître du dommage causé en France par un site internet en Espagne dès lors que ce dernier était accessible en France. En 2005 elle se réfère à la distinction faite entre « sites actifs », qui ciblent l’internaute français et « sites passifs », qui ne visent pas le public français ou le touchent de manière purement incidente. Dans ce deuxième cas le juge français n’était pas compétent alors qu’il l’était dans le premier. Dans un second temps, les Cours d’Appel (CA 26 avril 2006 ; CA 6 juin 2007 ; CA 20 janvier 2008) ont retenu que le juge français n’était pas compétent à défaut d’établir un lien substantiel, suffisant et significatif entre le site internet étranger et le territoire français ; critère qui semblait abandonné par la Cour d’Appel de PARIS dans son arrêt du 15 février 2008.
Très récemment une ordonnance du Tribunal de Grande Instance a ainsi précisé dans sa décision du 3 septembre 2008 que la simple accessibilité sur le territoire français ne pouvait constituer à elle seul un motif suffisant pour engager la compétence des tribunaux français sur le fondement de l’article 46 du Code de Procédure Civile dans la mesure où les sites internet sont généralement consultables à partir de n’importe quel pays dans le monde. Il est à cette occasion rappelé par le juge qu’il convient de caractériser un lien suffisant, substantiel ou significatif entre les faits délictuels allégués et le dommage prétendu sur le territoire français et que ce lien doit être recherché en examinant la nature du site internet en cause. Ce qui est intéressant dans cette espèce c’est la manière dont le juge a caractérisé le lien entre les actes de contrefaçons et le territoire français pour se déclarer compétent. Etait en cause un site chilien dénommé « artistasplasticoschilienos.cl » sur lequel étaient représentés et reproduits des toiles d’un artiste chilien, en violation des droits moraux et patrimoniaux de sa succession.
La motivation du juge est fondée sur la nature informative de ce site, le fait que les internautes ciblés soient constitués des amateurs d’art du monde entier ; « qu’il importe peu que ce site soit rédigé en langue espagnole et difficilement accessible par les moteurs de recherche depuis la France, qu’en effet, les amateurs de l’œuvre de Herman G. connaissant la nationalité de ce dernier sont naturellement portés à rechercher les sites édités par les musées chiliens susceptibles de reproduire des tableaux de cet artiste, ces reproductions étant appréhendables par l’internaute indépendamment de la langue des commentaires d’accompagnement ». Le juge s’est dans ces conditions reconnu compétent pour connaître des actes de contrefaçon allégués. Ce nouvel épisode jurisprudentiel semble admettre plus facilement la compétence du juge français, sans que celle-ci ne revête un caractère automatique.
Publications LIVRE HEBDO 30 janvier 2009