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7 mai 2007

Couples politiques

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Le récit des ruptures des hommes et des femmes politiques : atteinte à la vie privée ou contribution à un débat d’intérêt général ? . Le procès intenté par Cécilia Ciganer-Albeniz (divorcée Sarkozy) à l’encontre de la journaliste Anna Bitton et ceux engagés par Ségolène Royal et François Hollande à l’encontre de diverses publications rappellent que les limites entre sphère publique et sphère privée doivent être appréciées de manière particulière s’agissant de « couples politiques » qui se sont au fil du temps médiatisés à outrance. La journaliste Anna Bitton a écrit un livre intitulé Cécilia, titre suivi de la mention « Portrait » en page intérieure, édité par Flammarion.

Le livre est composé de commentaires et de nombreux passages reproduits entre guillemets et en italique ; propos prêtés à Cécilia Sarkozy ou à des tiers. Les juges, saisis d’une demande d’interdiction de la part de l’ex-épouse du président de la République, ont relevé dans leur ordonnance du 11 janvier 2008 que le livre exprimait souvent avec force les sentiments intimes qui seraient ressentis par Cécilia Sarkozy concernant notamment l’amour éprouvé pour Richard Attias et la souffrance née des infidélités conjugales de son époux.

Ces sujets qui entrent par nature dans la sphère protégée par l’article 9 du Code civil, car relevant de la vie familiale, conjugale, sentimentale et amoureuse, devaient-ils être appréciés différemment s’agissant d’une personnalité publique aussi médiatisée que l’ex-femme de Nicolas Sarkozy ? Liaisons adultères. La Cour de cassation dans un arrêt du 9 juillet 2003 avait retenu un principe d’équilibre depuis réaffirmé, notamment par la décision rendue le 11 janvier 2008 : « Les droits au respect de la vie privée et à la liberté d’expression, revêtant, eu égard aux articles 8 et 10 de la Convention européenne et 9 du Code civil, une identique valeur normative, font ainsi devoir au juge saisi de rechercher leur équilibre et, le cas échéant, de privilégier la solution la plus protectrice de l’intérêt le plus légitime. » En l’espèce, les juges retiennent, pour rejeter la demande d’interdiction de Cécilia Sarkozy, que : 1) Les faits relatés ont une portée politique réelle, le divorce d’un chef d’Etat en exercice étant exceptionnel et inédit en France ; Cécilia Sarkozy s’étant elle-même définie par le passé comme une « femme politique ». Pour autant, le tribunal estime que ces seules considérations n’excluent pas la possibilité de toute atteinte à la vie privée. 2) Cécilia Sarkozy a elle-même accordé des interviews en partie sur des sujets similaires, publiés dans le journal L’Est républicain et le magazine Elle.

C’est ce dernier point qui est déterminant, ajouté au fait que l’ouvrage n’apparaît pas comme dévalorisant à l’égard de l’ex-épouse de Nicolas Sarkozy. Une telle argumentation – sanction du comportement antérieur de la personnalité publique – avait déjà été retenue lorsque Nicolas Sarkozy avait assigné le journal Le Matin pour avoir publié des articles comportant les citations suivantes « S. largué par Cécilia », « Nicolas et Cécilia S., rupture dans l’air », « Cécilia demande le divorce ! », « Couple S. : Richard, le nouvel amour de Cécilia », « Nicolas aussi trompait Cécilia ». Les deux premières citations n’ont donné lieu à aucune condamnation car le TGI de Thonon-les-Bains dans sa décision du 22 septembre 2006 a jugé que Le Matin avait porté à la connaissance de ses lecteurs un fait déjà révélé constituant un événement d’actualité. En revanche, les juges ont estimé que les liaisons adultères mentionnées ne sont ni des faits notoires (sic) ni des faits anodins, à l’appui d’un débat d’intérêt général. La frontière entre ce qui constitue une atteinte à la vie privée (dont les limites sont sans cesse repoussées par les hommes politiques eux-mêmes) et ce qui relève de la sphère publique est, on le mesure ici, assez mince. Ségolène et François.

C’est dans le même sens que s’étaient exprimées les juridictions à propos du couple Ségolène Royal-François Hollande dans cinq décisions rendues le 22 octobre 2007 par la 17e chambre du tribunal correctionnel. Rappelant que les limites de la protection instaurée par l’article 9 du Code civil peuvent être appréciées plus largement relativement à des personnes assumant des fonctions publiques et officielles, les juges retiennent que faire ses courses est anodin, se faire photographier à son insu à cette occasion et voir cette image publiée ne l’est pas.

Publications CHRONIQUE JURIDIQUE – LIVRES HEBDO 07 mai 2008