Nouvelle affaire « Tintin » : précisions sur la notion de parodie en droit d’auteur
A l’occasion d’une nouvelle action engagée par la société MOULINSART (devenue Tintinimaginatio) à l’encontre d’un artiste qui commercialisait des bustes représentant Tintin et des sculptures inspirées des albums de Tintin « Objectif Lune » et « On a marché sur la Lune », la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a eu l’occasion d’apporter une définition approfondie de l’exception de parodie prévue par l’article L. 122-5 4°du Code de propriété intellectuelle.
L’exception de parodie suscite de nombreuses interrogations, dues notamment à la multitude d’intérêts en présence : il s’agit en effet de trouver un équilibre entre la liberté d’expression du parodiste et les intérêts économiques et moraux de l’auteur de l’œuvre parodiée.
L’article L.122-5 4° du Code de la Propriété Intellectuelle emploie trois expressions : la parodie, le pastiche, la caricature. Traditionnellement, on considère que ces trois expressions recouvrent les trois principaux genres : la musique (parodie), la littérature (pastiche) et les arts graphiques (caricature). Mais le terme « parodie » est aujourd’hui utilisé de façon à couvrir le pastiche et la caricature et, la jurisprudence considère que la parodie doit provoquer le rire sans pour autant créer un risque de confusion et s’approprier l’œuvre première et, sans pour autant dénigrer l’auteur par voie d’atteinte à son droit moral.
Ce n’est pas la première fois que la société MOULINSART revendique ses droits d’auteur en justice concernant « les aventures de Tintin ». En 2017, elle avait déjà assigné un parodiste en justice pour contrefaçon. Les faits étaient quelque peu différents de l’affaire en présence : un artiste-peintre avait réalisé une série de tableaux dans lesquels il mettait en scène la vie amoureuse du personnage de Tintin dans des situations inspirées des toiles du peintre américain Edward Hopper. L’argument de l’exception de parodie soulevé par le défendeur avait été accepté par le Tribunal judiciaire de Rennes. Tout d’abord, l’intention humoristique était bien établie au regard des témoignages du public et de son ressenti. La critique était également exprimée de façon diverse à travers les interrogations sur la vie du personnage de Tintin. Enfin, il n’existait selon le Tribunal aucun risque de confusion au motif que « les travestissements auxquels procède l’Artiste sont évidents ». (TJ Rennes, 10 mai 2021, n° 17/04478)
Dans cette nouvelle affaire Tintin, le but humoristique ou critique des bustes et des statuettes commercialisés par l’artiste Christophe Tixier alias Peppone n’étaient pas si évidents. Ainsi, aux termes d’un jugement du 17 juin 2021, le Tribunal judiciaire de Marseille a jugé que des actes de contrefaçon avaient été commis et a rejeté l’argument de l’exception de parodie soulevée par le défendeur.
Concernant la définition de la parodie, la Cour de justice de l’Union européenne a déjà précisé que « la parodie a pour caractéristiques essentielles, d’une part, d’évoquer une œuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci, et, d’autre part de constituer une manifestation d’humour ou une raillerie » (CJUE, 3 septembre 2014, C-201/13).
Par le présent arrêt, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a approfondi cette définition : « Pour pouvoir être qualifiée de ‘parodie’ l’œuvre seconde doit évoquer l’œuvre préexistante et présenter des différences perceptibles par rapport à celle-ci afin qu’il n’y ait aucune confusion avec l’œuvre parodiée. Elle doit par ailleurs constituer une manifestation d’humour et de raillerie. Il doit être à cet égard souligné que l’humour ne se limite pas à ce qui fait rire mais peut seulement prêter à sourire même intérieurement. En outre, l’adjonction à l’œuvre parodiée de traits d’humour secondaires est dénuée d’effet si elle ne modifie pas la nature et/ou signifiance de celle-ci mais constitue un détournement de notoriété dans un but commercial ».
Ainsi, la parodie doit révéler une sorte de seuil minimal d’humour et il ne suffit pas seulement d’ajouter des éléments ou « traits » d’humour à l’œuvre seconde pour entrer dans la définition de parodie.
En l’espèce, le personnage de Tintin ainsi que la fusée apparaissant au sein des albums « Objectif Lune » et « On a marché sur la Lune » sont reconnus protégeables par le droit d’auteur en tant que créations originales qui portent l’empreinte de la personnalité de leur auteur. Ainsi, sauf reconnaissance de l’exception de parodie, seule la société MOULINSART, nouvellement dénommée Tintinimaginatio, pouvait s’inspirer des œuvres précitées pour commercialiser, comme elle le fait, des bustes de Tintin et des fusées « objectif lune ».
Concernant les fusées, la Cour d’appel a jugé qu’« il n’en émane aucun humour particulier et « ne relèvent pas plus de la notion de parodie que de celle de pastiche ou de caricature ». Les bustes litigieux ne relèvent pas non plus, selon la Cour, de la parodie car ils « ne correspondent qu’à une déclinaison esthétique de l’œuvre d’Hergé sans apport et/ou interpellation intellectuels spécifiques, ni trait d’humour ou même de dérision ».
Ainsi, en l’absence de distance et d’apport intellectuel caractérisant l’exception de parodie, l’imitation du personnage Tintin créé un trouble manifestement illicite, qu’il convient de faire cesser.
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CA Aix-en-Provence, ch. 1 2, 24 nov. 2022, n° 22/04302