La protection « indirecte » des biens intellectuels par les actions en concurrence déloyale et en parasitisme
Le 27 mars 2024, le tribunal judiciaire de Paris a condamné la société Givenchy à verser la somme de 30 000 euros de dommages-intérêts à l’artiste français ZEVS pour avoir commis des actes de concurrence déloyale et de parasitisme.
ZEVS est un artiste contemporain connu pour appartenir au mouvement du street-art et pour son utilisation de la technique de la coulure (dreeping en anglais).
Il est notamment l’auteur d’une œuvre intitulée « Liquidated Google » et réalisée en 2010 dans laquelle il détourne le logo de la marque avec des effets de coulures.
En 2020, il découvre que la marque de prêt-à-porter GIVENCHY commercialise sur son site internet plusieurs produits sur lesquels est reproduit le logo GIVENCHY avec un jeu de couleur et cet effet de coulure associé à chaque lettre.
Considérant que la marque commercialisait des produits reproduisant les caractéristiques de ses œuvres, ZEVS a demandé à GIVENCHY de retirer ces produits de la vente.
La société GIVENCHY a refusé de donner suite en répondant que l’artiste ne pouvait revendiquer un monopole sur l’idée consistant à faire « dégouliner » des formes.
L’artiste décide donc d’engager une action judiciaire à l’encontre de la société GIVENCHY en contrefaçon de ses droits d’auteur à titre principal, et en concurrence déloyale et parasitisme à titre subsidiaire.
Sur le terrain de la contrefaçon, le tribunal reconnait l’originalité de l’œuvre « Liquidated Google » au regard de la combinaison de plusieurs caractéristiques qui démontrerait les choix arbitraires et esthétiques de l’artiste.
L’artiste soutient notamment que les coulures associées au logo de la marque donneraient « l’illusion que ce signe est en train de fondre […] comme pour le vider de son sens ou de son pouvoir ». A ce titre, le tribunal énonce que l’artiste ne s’est pas approprié un message ou un concept mais que son message est « concrétisé dans l’œuvre matérielle identifiée ».
Toutefois, les juges écartent la contrefaçon car ils considèrent que les caractéristiques originales de l’œuvre « Liquidated Google » ne sont pas reprises dans les produits de la marque GIVENCHY. Les vêtements litigieux ne reproduisent pas le logo « GOOGLE » et la combinaison de couleur est différente. De plus, les vêtements ne comportent pas de coulures mais des broderies.
Si les demandes fondées sur le droit d’auteur n’ont pas abouti, le demandeur a eu plus de succès sur le terrain du parasitisme et de la concurrence déloyale.
En effet, le tribunal retient que la société GIVENCHY se serait inspirée des œuvres et de la démarche artistique de ZEVS pour la création de ses produits « même si le détail des caractéristiques originales […] n’est pas exactement reproduit ». La marque aurait donc commis des actes de parasitisme en se plaçant dans le sillage de l’artiste et en tirant indûment profit de sa notoriété.
De plus, les juges énoncent que la vente de ces vêtements serait de nature à créer un risque de confusion auprès des consommateurs dans la mesure où les marques de luxe s’associent régulièrement avec des artistes pour la création de produits. Ils considèrent ainsi que la marque GIVENCHY aurait également commis des actes de concurrence déloyale.
L’artiste obtient la somme de 30 000 euros à titre de dommages-intérêts pour les faits de parasitisme et de concurrence déloyale commis par la société GIVENCHY.
Cette décision rendue par le tribunal judiciaire illustre la protection « indirecte » des biens intellectuels par les actions en concurrence déloyale et en parasitisme lorsque la contrefaçon n’est pas retenue, faute de reprise des caractéristiques essentielles de l’œuvre première.
TJ Paris, 3e ch., 27 mars 2024, n° 21/04132