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2 février 2024

La contrefaçon du cocontractant et le principe de non-cumul des responsabilités

En matière de propriété intellectuelle, il peut être difficile de déterminer la nature de l’action à engager lorsqu’une violation contractuelle constitue également un acte de contrefaçon.  

Dans cette affaire, la société Lundi Matin, éditrice de logiciels, a engagé un litige avec La Poste concernant l’utilisation d’un logiciel intitulé «Rovercash».

Ce logiciel a été utilisé comme base pour le développement du logiciel interne «Genius». Puis, la Poste a commencé à exploiter sa solution «Genius» sur le PlayStore de Google à compter du mois d’avril 2017 alors que le contrat avait expiré.

La société Lundi Matin a donc assigné La Poste en contrefaçon de ses droits d’auteurs sur le logiciel « Rovercash ».

Le Tribunal judiciaire de Paris a condamné La Poste pour contrefaçon en juillet 2021, mais Lundi Matin a fait appel de la décision, contestant les montants des dommages et intérêts.

En appel, la Poste a soutenu que l’action en contrefaçon de Lundi Matin était irrecevable au regard du principe de non-cumul des responsabilités. La Poste soutient que qu’il ne s’agit pas d’un litige de contrefaçon mais d’« un litige  commercial portant sur l’étendue des droits » dont elle disposait en vertu de leurs contrats.

Dans son raisonnement, la Cour d’appel de Paris s’appuie sur le courant jurisprudentiel initié par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE 18 déc. 2019, IT Development c/ Free Mobile, aff. C-666/18, Civ. 1re, 5 oct. 2022, n° 21-15.386) concernant la recevabilité d’une action en contrefaçon en présence d’un manquement contractuel constitutif d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle.

La CJUE avait affirmé que le titulaire d’un droit de propriété intellectuelle devait pouvoir bénéficier du régime de protection instauré par la directive 2004/48 indépendamment du régime de responsabilité applicable en droit national.

La Cour d’appel énonce alors que « l’action sur le fondement de la responsabilité contractuelle ne permet pas au titulaire de droits d’auteur sur un logiciel en cas d’atteinte portée à ses droits, de bénéficier de l’ensemble des garanties prévues par la directive 2004/48, notamment à ses articles 7 et 13. »

En effet, la réparation du préjudice est limitée, en matière contractuelle, à ce qui est prévisible lors de la conclusion du contrat. De plus, les mesures d’instructions de droit commun ne permettent pas la saisie réelle des biens contrefaisants ou ayant servis à les fabriquer et les distribuer.

La Cour d’appel confirme donc la recevabilité de l’action en contrefaçon à l’encontre de la Poste et a octroyé des dommages-intérêts plus importants à la société Lundi Matin.

La décision du 8 décembre 2023 vient donc affirmer la recevabilité d’une action en contrefaçon quand un manquement contractuel est constitutif d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle.

Il en ressort que le régime de responsabilité applicable dépend de la nature de la faute, selon qu’elle porte ou non atteinte au droit de propriété intellectuelle. Dans l’affirmative, une action en contrefaçon sera recevable à l’égard du cocontractant. Dans la négative, seule une action fondée sur la responsabilité contractuelle pourra être engagée.

Cour d’appel de Paris, Pôle 5 chambre 2, 8 décembre 2023, n° 21/19696