Fusion-absorption en cours d’instance : la rigueur procédurale est de mise
Que se passe-t-il lorsqu’une société disparaît en pleine bataille judiciaire ? La fusion-absorption en cours d’instance constitue un véritable casse-tête juridique, où la continuité des droits procéduraux devient un enjeu majeur. L’affaire Via Location et l’arrêt de la Cour de cassation auquel elle a donné lieu offrent une illustration frappante de cette complexité : le simple fait d’oublier de viser dans ses conclusions la société absorbante peut entraîner l’échec d’une demande en justice, cela rappelant à quel point le respect des règles procédurales reste un enjeu crucial dans tout contentieux.
Dans cette affaire, la société Via Location conclut un contrat de location de véhicules avec la société TAG. A la suite du non-paiement de factures, la société de location assigne TAG devant le tribunal de commerce de Paris, qui condamne le locataire au paiement de certaines sommes. TAG fait appel mais, entre-temps, Via Location est absorbée par la société Fraikin France, qui reprend ses droits dans l’instance. Par un arrêt du 16 janvier 2023, la cour d’appel de Paris confirme le jugement, estimant que TAG aurait dû formuler ses demandes contre Fraikin France. La cour considère donc qu’en l’absence de critique du jugement, celui-ci ne peut qu’être confirmé. TAG se pourvoit alors en cassation, mais son pourvoi est rejeté, la Cour de cassation précisant que l’intervention de la société absorbante n’exonère pas l’autre partie de la viser dans ses demandes.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation apporte une réponse claire aux problématiques liées aux fusions de sociétés en cours d’instance. Elle confirme tout d’abord un principe déjà établi : lorsqu’une entreprise est absorbée en cours d’instance, la société absorbante (ici, Fraikin France) peut prendre la place de la société absorbée dans le procès (voir, par ex., Com. 13 mars 2019, n° 17-20.252). Cette solution apparaît peu contestable en ce qu’une société ayant déjà fait l’objet d’une fusion-absorption avant l’instance ne peut, faute d’existence juridique, ni agir ni être assignée en justice. En revanche, si la fusion se produit en cours d’instance, la société absorbante peut poursuivre les actions en cours en vertu de l’article L. 236-3 du Code de commerce qui prévoit la transmission universelle du patrimoine, y compris les actions en justice. La société absorbée n’ayant plus d’existence juridique, seule la société absorbante, en tant que successeur universel, peut poursuivre les instances, le patrimoine de la première lui étant transféré avec l’ensemble de l’actif et du passif, y compris les actions judiciaires. La capacité d’agir de la société absorbée ayant alors disparu, le défaut de capacité d’ester en justice est souvent sanctionné par une fin de non-recevoir. Toutefois, l’intervention de la société absorbante permet d’écarter cette fin de non-recevoir, permettant ainsi la poursuite de l’instance.
Cependant, la Cour de cassation précise également que l’intervention de la société absorbante ne dispense pas l’autre partie de formuler explicitement ses demandes à son encontre. Bien que la société absorbante intervienne à l’instance, l’adversaire doit conclure à nouveau pour formuler des prétentions à son encontre, faute de quoi la décision de première instance sera confirmée.
Si cette solution peut sembler sévère, notamment dans le contexte d’une fusion-absorption, elle est cohérente avec le formalisme des procédures judiciaires. En effet, la société absorbante, bien qu’héritière du patrimoine de la société absorbée, n’en partage pas l’identité juridique. Par conséquent, la fusion-absorption ne doit pas conduire à confondre ces deux entités procéduralement.
Com. 18 sept. 2024, F-B, n° 23-16.453