Condamnation de la société C8 pour l’arrêt de l’émission Salut les Terriens
La Cour d’appel de Paris a condamné, le 10 septembre 2021, la société C8 à verser plus de 5,15 millions d’euros en considérant que l’offre de renouvellement de cette dernière pour la saison télévisuelle 2019/2020 comprenant la remise en cause des termes financiers des budgets de production, constitue une modification substantielle de la relation commerciale et caractérise de ce fait une rupture brutale des relations commerciales établies.
La société ARDIS, société de production de l’animateur Thierry ARDISSON, signe en 2007 avec la société CANAL+ un contrat afin de produire pour son compte une série de 25 émissions hebdomadaires, intitulées « Salut les Terriens ». Chaque année suivante, le contrat est renouvelé sur le même principe jusqu’en 2016. La production exécutive est assurée par la société TELEPARIS (contrôlée par la société ARDIS et Thierry ARDISSON). A partir de 2016, les contrats sont renouvelés mais signés avec la société C8 (filiale de CANAL+).
En avril 2019, Thierry ARDISSON est informé que la prolongation des émissions pour la saison télévisuelle 2019/2020 est compromise, sauf à ce qu’il réduise sa facturation de moitié, ce que le présentateur a refusé avant de donner un communiqué de presse le 18 mai 2019 dans lequel il annonce ne plus être « sur C8 à la rentrée. La Chaine n’a plus les moyens de s’offrir Ardisson et ses équipes ».
Thierry ARDISSON ainsi que les sociétés ARDIS et TELEPARIS ont assigné à bref délai les sociétés C8 et CANAL+ devant le Tribunal de commerce de Paris sur le fondement de l’article L. 442-1 du Code de commerce, afin de faire juger que la société C8 aurait brutalement rompu les relations commerciales établies.
Le Tribunal de commerce de Paris prononce le 21 janvier 2020 la mise hors de cause de la société CANAL+ et retient que la société C8 a pris l’initiative de rompre les relations commerciales d’une durée de 13 ans (tenant compte de la relation initiée avec CANAL+), compte tenu de la réduction drastique de budget imposée à la société ARDIS. Les juges qualifient également la rupture de brutale au regard d’un préavis insuffisant de 1,5 mois. Le Tribunal déboute en revanche les demandeurs des demandes de réparation du préjudice résultant des licenciements économiques, du coût non amorti des décors des émissions et du préjudice moral du présentateur.
Les sociétés ARDIS, TELEPARIS et Thierry ARDISSON interjettent appel de ce jugement.
La Cour d’appel de Paris infirme le jugement sur ses dispositions relatives (i) à la réparation de la rupture brutale des relations commerciales établies, (ii) au rejet des demandes formées au titre de la prise en charge des indemnités de licenciements, (iii) au manquement contractuel invoqué par C8 et (iv) aux frais irrépétibles exposés en première instance par la société CANAL+.
Le jugement est d’abord confirmé sur quatre points :
-la mise hors de cause de la société CANAL+ puisqu’il n’existe aucune preuve « que la relation commerciale liant les sociétés ARDIS et C8 procède de la poursuite des engagements de la société CANAL+ » ;
-la brutalité de la rupture est caractérisée par la remise en cause des termes financiers des budgets de production, ce qui constitue une modification substantielle de la relation commerciale. Ces termes n’ont pas été accompagnés d’une tentative de négociation ni d’aucune proposition concrète afin d’aménager la poursuite des relations commerciales;
-le préjudice moral invoqué par Thierry ARDISSON est rejeté puisqu’une telle demande « ne peut prospérer qu’autant qu’il est justifié d’un dommage personnel, directement imputable à la brutalité de la rupture » ;
-la demande de la société C8 au titre du dénigrement est de nouveau rejeté puisque « les propos tenus par Thierry ARDISSON à l’égard de C8 reprennent des expressions admises dans le langage courant pour caractériser d’une manière générale la tendance de certains médias à revoir les critères de qualité de leurs prestations dans le but de réduire leurs coûts de production. La critique exprimée à l’encontre de C8 renvoie à un sujet d’intérêt général, reposant sur une base factuelle limitée au litige opposant les parties, de sorte que la divulgation de ces propos relève du droit à la liberté d’expression, qui inclut le droit de libre critique, et ne saurait, dès lors, être regardée comme fautive, dès lors qu’elle est exprimée avec mesure ».
Le jugement sera ensuite infirmé sur quatre autres points :
-le délai de préavis nécessaire est ramené de 6 mois à 12 mois ;
-la Cour rappelle que « Le préjudice réparable est celui né du caractère brutal de la rupture des relations d’affaires, il correspond à la perte d’activité qui n’a pas pu être prévenue par la recherche d’autres partenariats pendant la période de préavis dont ARDIS a été privée et doit être évalué au regard de la marge brut qui aurait pu être dégagée durant cette période de 12 mois ». Les juges retiennent donc le préjudice lié à la brutalité de la rupture mais également celui lié aux licenciements suite à l’arrêt de la production de deux émissions ;
-la Cour d’appel condamne la société ARDIS pour manquement à l’obligation contractuelle de confidentialité puisque le présentateur avait divulgué une information financière protégée. Cette simple divulgation « fait présumer la faute de ce dernier et cette violation ouvre droit à indemnité sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve d’un quelconque préjudice quand celui-ci est avéré par la violation du secret des affaires destiné à protéger les négociations commerciales » ;
-les frais irrépétibles de première instance seront réglés par les sociétés demanderesses envers la société CANAL+.
La rupture brutale des relations commerciales peut donc être pleinement caractérisée par la modification substantielle de la relation due à une remise en cause non négociée des termes financiers du contrat. La caractérisation de la rupture brutale s’accompagne donc de l’absence de tentative de négociation et de l’absence de proposition concrète (écrite) afin d’aménager la poursuite des relations commerciales en tenant compte des nécessités économiques des parties.
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Commentaire de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, pôle 5, chambre 11, du 10 septembre 2021