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27 décembre 2021

Comment contester efficacement l’exercice par les contrôleurs fiscaux du délai de reprise de dix ans ?

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En matière d’ impôt sur le revenu et d’’impôt sur les sociétés, le droit de reprise de l’administration des impôts s’exerce jusqu’à la fin de la 3°année qui suit celle au titre de laquelle l’imposition est due.

Ce principe, posé. au premier paragraphe de  l’article L 169  du LPF souffre d’exceptions: dans certaines circonstances, le délai de reprise  peut être étendu à 10 ans et l’administration ne se prive pas d’en faire usage dans les dossiers à caractère pénal.

Pour le contribuable concerné, cette extension peut être dévastatrice  Il   s’expose à un rehaussement d’assiette étendue , à des pénalités de 80% et des intérêts de retard.

Comment contester utilement cette plongée dans le temps ? La matière est complexe et devant le juge de l’impôt mieux vaut ne pas se tromper de combat.

L’arrêt de la CAA de Lyon illustre la difficulté des sujets auxquels les intéressés et leurs conseils sont confrontés.

Les faits sont simples : Mme A qui est comptable de métier détourne des chèques et des espèces entre 2011 et 2013. Le Parquet et  l’administration fiscale sont informés de ces infractions  dès 2013. Poursuivie en correctionnelle , Mme A est condamnée à deux ans de prison avec sursis par un jugement rendu en 2015. Après exercice de son droit de communication auprès de l’autorité judiciaire, le fisc adresse en 2016 à Mme A des propositions de rectification  portant sur les exercices au cours desquels ont été commis les détournements sanctionnés par le Juge pénal : 2011,2012,2013.

A cet effet , le fisc se prévaut du délai de reprise de 10 ans prévu au 2°paragraphe de l’article L 169  du LPF en cas d’activités occultes. Mme A  conteste cette extension de délai . Elle relève que les faits litigieux n’ont pas été révélés à l’administration fiscale par l’autorité judiciaire mais lui étaient connus dès 2013.

Mme A en déduit que le délai de reprise de 10 ans ne lui est pas applicable. Elle se fonde sur l’article L 188 C du LPF qui prévoit que l’administration dispose d’un délai de reprise de 10 ans lorsque des omissions ou insuffisances d’imposition  sont révélées par une procédure judiciaire. L’administration ne pouvait donc utiliser cette disposition légale puisque les omissions n’ont pas été révélées par une procédure judiciaire. L’analyse est exacte mais elle est sans intérêt puisque le service n’a pas fait usage de ce texte.

La Cour lui répond logiquement  que ce moyen est inopérant « dès lors que le délai spécial de reprise prévu à l’article L 169 du LPF pouvait être légalement mis en œuvre »   Mme A. est condamnée à payer la totalité de son réhaussement pour les années 2011, 2012 et 2013.

Techniquement , l’arrêt est incontestable ; pourtant la solution est contraire au droit procédural et Mme A aurait du être dégrévée pour 2011 et 2012. Car  ce n’est pas  l’application du délai de reprise étendu qui est contestable : ce sont ses modalités.

Ces modalités , fixées par la jurisprudence, et  perdues de vue par Mme A sont les suivantes :

Lorsque l’administration dispose d’éléments suffisants lui permettant, par la mise en oeuvre des procédures d’investigations dont elle dispose, d’établir ces insuffisances ou omissions d’imposition dans le délai normal de reprise prévu à l’article L. 169 du livre des procédures fiscales , elle ne peut reprendre les exercices considérés en se prévalant du délai de 10 ans. ( CE ,23 Décembre 2013, n°350967).

En 2013, l’administration avait connaissance des  omissions  commises par Mme A depuis 2011; elle aurait donc pu les reprendre dans le délai normal de reprise de 3 ans. Elle s’en est abstenue. Elle ne pouvait ultérieurement reprendre les mêmes exercices en utilisant le délai de 10 ans . Bien que fondée à faire usage de ce délai de 10 ans , le service ne pouvait pas redresser ces exercices.

Le droit de la procédure fiscale est  complexe.   Il fait appel à des connaissances, des réflexes,    un raisonnement éloignés de la matière fiscale proprement dite.  Pourtant il ne peut être négligé puisqu’un redressement fiscal , fondé en droit , peut ne pas résister à un vice de procédure .    Nous travaillons avec plaisir avec   tous les spécialistes de la matière fiscale ,qui ressentent la nécessité d’un échange sur ces questions périphériques à leur champ de compétences.

Nicolas Philippe

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CAA Lyon, 2 Décembre 2021, n°19LY01779