En mettant en balance la liberté d’expression de l’artiste et les droits de l’auteur, l’exception de parodie est reconnue aux œuvres de l’artiste Xavier Marabout, lequel propose des peintures mettant en scène les personnages du dessinateur Hergé dans des situations inspirées des toiles du peintre américain Hopper.
La société Moulinsart est le titulaire exclusif des droits d’exploitation de l’œuvre d’Hergé, et notamment les droits de reproduction, d’adaptation et de représentation de l’œuvre « Les aventures de Tintin », à l’exclusion de l’édition des albums.
Cette société a découvert que l’artiste-peintre Xavier Marabout proposait à la vente sur son site Internet des peintures qui constituaient, selon elle, des adaptations non autorisées de différents éléments extraits de l’œuvre d’Hergé. En effet, l’artiste avait réalisé une série de tableaux dans lesquels il s’interrogea sur la vie amoureuse du personnage de Tintin et le met ainsi en scène dans des situations inspirées des toiles du peintre américain Edward Hopper.
Dans un jugement bien motivé du 10 mai 2021, le Tribunal de Rennes déboute la société Moulinsart de l’intégralité de ses demandes et la condamne sur le terrain du dénigrement.
Le Tribunal rappelle tout d’abord la qualité de titulaire des droits d’auteur de la société Moulinsart ainsi que l’originalité des personnages dessinés par Hergé, bénéficiant de ce fait d’une protection au titre du droit d’auteur conformément à l’article L.112-2 du Code de la propriété intellectuelle.
Par la suite, l’arrêt énonce précisément les différents éléments permettant d’apprécier l’exception de parodie figurant au sein de l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle.
Les juges reprennent ainsi successivement le critère de l’identification immédiate, de l’intention humoristique, du but critique et enfin de l’absence de risque de confusion.
Pour déclarer satisfait le critère de l’identification immédiate, il est relevé que l‘artiste a fait le choix d’un support acrylique qui se distingue clairement des œuvres d’Hergé créées sur un support de bande-dessinée.
De plus, en raison de la composition, de la pose des personnages ainsi que de la présence de la signature de l’artiste sur la toile, « l’observateur même très moyennement attentif ne peut se méprendre lorsqu’il regarde un travail de Xavier MARABOUT sur l’auteur de la peinture ou de la reproduction de cette peinture ». Aussi, l’évocation de l’œuvre de Hopper permet d’instituer une distanciation suffisante avec l’œuvre protégée d’Hergé.
Concernant l’intention humoristique et le but critique, les juges relèvent que cela peut se déduire de l’œuvre en elle-même mais aussi résulter des commentaires de l’artiste ou des critiques d’art.
C’est pourquoi sont cités dans l’arrêt des extraits de publications de presse ainsi que les titres des œuvres choisis par l’artiste, ce qui permet ainsi au Tribunal d’affirmer que « les toiles entrent dans le cadre de l’exception de parodie en ce qu’elles citent l’œuvre d’HERGÉ de manière à la fois reconnaissable et distincte, dans un but humoristique ou de critique ».
Aussi, mettant en balance les droits de l’auteur et de l’artiste, le Tribunal précise que « Le fondement de l’exception de parodie est la liberté d’expression, laquelle se traduit pour l’auteur d’œuvres peintes par une liberté de l’inspiration » permettant ainsi à Xavier MARABOUT de « faire usage de cette liberté à la condition de ne pas porter une atteinte à l’œuvre originale ». En l’espèce, les juges relèvent qu’il n’est pas rapporté « d’élément caractérisant un dénigrement ou un avilissement de l’œuvre de HERGÉ, en particulier il ne s’agit pas de représentations à caractère pornographique en ce que les scènes sont seulement sexualisées ».
Appréciant le quatrième critère tenant à l’absence de risque de confusion, les juges relèvent que la notoriété de Tintin est telle qu’il n’est pas possible d’envisager une quelconque confusion entre les toiles de l’artiste et les bandes-dessinées d’Hergé. En outre, ils précisent que « Les travestissements auxquels procède Xavier MARABOUT sont évidents », que les œuvres sont signées de la main de l’artiste et se distinguent clairement du format de la bande-dessinée, éléments permettant de renforcer l’absence de confusion possible.
Pour compléter son argumentation sur l’exception de parodie, le Tribunal rappelle également qu’il n’y a pas d’atteinte disproportionnée à l’image de Tintin.
De surcroit, concernant l’inspiration artistique et une possible atteinte aux droits patrimoniaux que défend la société Moulinsart, les juges, rappelant la nécessité de mise en balance de la liberté d’expression des artistes et des droits de l’auteur source de l’inspiration de l’artiste, ont apprécié si Xavier Marabout ne s’était pas « inscrit dans une démarche purement commerciale et mercantile, s’appropriant ainsi la valeur économique de l’œuvre de HERGÉ ». Malgré le peu d’éléments à leur disposition, ceux-ci précisent que la somme perçue par l’artiste-peintre suite à la vente de ses toiles est « extrêmement modeste au regard des revenus que génèrent pour la société MOULINSART les produits “dérivés” de l’œuvre de HERGÉ qu’elle exploite ».
De même, après avoir jugé que « l’intérêt de l’artiste à la libre utilisation de l’œuvre dans le cadre d’une confrontation sur le terrain artistique » devait « prévaloir sur les simples intérêts financiers des titulaires de droit », les juges écartent également toute prétention de la demanderesse concernant la concurrence déloyale. Cela notamment en raison du fait que l’activité commerciale de la société Moulinsart et l’activité créatrice de l’artiste ne s’adressent pas à la même clientèle.
Enfin, en raison du mail envoyé par la société Moulinsart à des galeries d’art portant une appréciation péjorative du travail de Xavier Marabout, lui reprochant des prétendus actes de contrefaçon et demandant le retrait de la commercialisation de ces œuvres, le Tribunal juge que le dénigrement fautif est caractérisé.
En effet, « Il est habituellement considéré que même, en l’absence d’une situation de concurrence directe et effective entre les personnes concernées, la divulgation, par l’une, d’une information de nature à jeter le discrédit sur un produit commercialisé par l’autre constitue un acte de dénigrement, à moins que l’information en cause ne se rapporte à un sujet d’intérêt général et repose sur une base factuelle suffisante, et sous réserve qu’elle soit exprimée avec une certaine mesure ».
En l’espèce, ce message n’a pas été accompagné d’une quelconque précaution et présentait comme acquise l’existence d’une contrefaçon alors même que l’artiste avait invoqué l’exception de parodie. C’est pourquoi le Tribunal judiciaire de Rennes condamne la société Moulinsart au paiement de dommages et intérêts (10.000 euros) à l’artiste Xavier Marabout.
Décision commentée : Tribunal judiciaire de Rennes, 2e Chambre civile, 10 mai 2021, RG n°17/04478