Transfert de documents confidentiels sur boîte email personnelle : pas de faute grave sans usage détourné ni intention de nuire
Catégorie : Droit du travail
Un salarié peut-il être licencié pour faute grave en raison d’un transfert isolé de documents confidentiels internes à l’entreprise sur sa boîte mail personnelle ? Pas sans démonstration d’un risque concret ou d’une intention de nuire, répond la Cour de cassation dans un arrêt du 9 avril 2025. Une décision qui s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle à relativiser la portée de certains manquements techniques lorsqu’ils sont commis sans malveillance.
Faits :
Mme [X], salariée depuis 1995, occupait un poste à responsabilité dans la direction commerciale. Elle a transféré un e-mail professionnel contenant des pièces jointes confidentielles vers sa messagerie personnelle, contrevenant aux règles internes de l’entreprise. Elle justifiait ce geste par des raisons pratiques : l’impossibilité de travailler depuis son domicile avec son matériel professionnel. Elle avait cependant supprimé les traces du transfert.
Considérant qu’il s’agissait d’un manquement grave à ses obligations de confidentialité, l’employeur l’a licenciée pour faute grave.
Procédure :
La salariée conteste son licenciement devant le Conseil de prud’hommes. La cour d’appel de Colmar, saisie en appel, lui donne raison : pas de transmission à des tiers, pas d’intention malveillante, une longue ancienneté sans antécédent disciplinaire. Le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse. L’employeur se pourvoit en cassation.
Solution :
La Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle rappelle que la faute grave suppose des faits d’une gravité telle qu’ils rendent impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. Or, aucun élément ne prouve une diffusion externe des documents ou une volonté délibérée de nuire à l’employeur. L’ancienneté et le comportement antérieur de la salariée sont aussi pris en compte. Résultat : pas de faute grave, ni même de cause réelle et sérieuse.
Un revirement ? Pas vraiment. Une confirmation nuancée de la jurisprudence existante.
📚 Un arrêt dans la lignée de la jurisprudence prudente sur la confidentialité
Cet arrêt s’inscrit dans une série de décisions où la Cour de cassation exige plus que la violation formelle d’une règle pour admettre une faute grave.
🔹 Cass. soc., 1er mars 2023, n° 21-17.685 : un salarié qui avait conservé des documents confidentiels chez lui n’avait pas été licencié pour faute grave, faute de démonstration d’une utilisation détournée.
🔹 Cass. soc., 15 novembre 2023, n° 22-14.732 : le téléchargement de fichiers sensibles sur une clé USB personnelle n’a pas suffi à caractériser la faute grave, en l’absence de diffusion ou de réutilisation.
À l’inverse, la Cour a pu valider un licenciement pour faute grave en cas de manquement aux règles de sécurité doublé d’une volonté manifeste de contourner l’autorité hiérarchique ou d’induire en erreur :
🔸 Cass. soc., 13 septembre 2022, n° 20-22.220 : licenciement confirmé pour un salarié ayant partagé des documents confidentiels avec un tiers sans autorisation.
Conclusion :
La Cour opère une ligne de crête : la simple transgression des règles internes, même relatives à des données confidentielles, ne suffit pas si elle est isolée, non répétée, et dénuée d’intention fautive.
L’arrêt rappelle à l’employeur son obligation de proportionnalité dans la sanction disciplinaire, et pose un garde-fou contre un usage trop extensif de la faute grave. En parallèle, il invite les salariés à plus de vigilance : un geste anodin peut devenir grave… s’il est mal documenté, mal justifié, ou répété.
Cass. soc., 9 avril 2025, n° 24-12.055