Condamnation en diffamation d’une viticultrice ayant dénoncé sur son compte Instagram les violences sexuelles d’un vigneron faute de mesure dans les propos
Si la dénonciation de la commission d’infractions de nature sexuelle s’est libérée depuis le mouvement #Metoo, de tels propos peuvent constituer l’infraction de diffamation. Dans sa décision du 22 août 2024, la Cour d’appel de Bourges propose un raisonnement étayé et retient que l’autrice des propos diffamants, n’est pas exempte de responsabilité pour diffamation, excluant ainsi l’exception de vérité et l’exception de bonne foi.
Trois publications Instagram de mai et juin 2022 imputent à un vigneron la commission d’actes d’harcèlements, d’agressions sexuelles et de viol en se référant aux témoignages de plusieurs femmes. Le vigneron porte plainte pour diffamation. Le Tribunal puis la Cour d’appel retiennent que les propos ne se sont pas limités à une prise de position dans le cadre d’un débat d’idées relatif à la révélation de faits de harcèlement et d’agression sexuelle, de sorte que les publications litigieuses, en ce qu’elles présentent le vigneron comme auteur d’infractions pénales, portent atteinte à son honneur et à sa considération.
L’autrice des propos invoque l’exception de vérité et l’exception de bonne foi.
Sur l’exception de vérité, il est rappelé que la vérité des faits diffamatoires peut toujours être prouvée, sauf lorsque l’imputation concerne la vie privée de la personne (article 35 alinéa 3 de la loi du 29 juillet 1881). La Cour d’appel retient que la révélation d’infraction de nature sexuelle sur personne majeure ne relève pas de la vie privée au sens de l’article 35, admettre le contraire « faciliterait la condamnation pour diffamation des personnes les dénonçant, y compris lorsqu’il s’agirait de victimes, dans la mesure où ne resterait à la disposition de l’auteur de la diffamation que le fait justificatif reposant sur la bonne foi ».
L’exception de vérité est finalement écartée, les témoignages rapportés sont contradictoires et « de nature à créer des doutes ne pouvant être levés par aucun autre élément recevable au titre de l’offre de preuve ».
Sur l’exception de bonne foi, même si la Cour d’appel retient que la dénonciation de tels actes, dans une démarche socioculturelle progressiste et féministe contre les violences sexuelles faites aux femmes, contribue ainsi à alimenter l’intérêt général ainsi qu’une base factuelle suffisante, elle rejette l’exception en raison du défaut de mesure dans l’expression.
En effet, les juges d’appel retiennent que « C’est donc à bon droit que le premier juge a relevé le caractère péremptoire des propos tenus par Mme [P], l’absence de mesure attendue au regard de la sensibilité du sujet et l’absence de rappel du principe fondamental de la présomption d’innocence, qu’il a estimé d’autant plus nécessaire au regard de la gravité des faits dénoncés et du média choisi, qui facilite la diffusion desdits propos ».
L’exception de bonne foi est donc écartée et l’autrice des propos est condamnée à verser 15.000 euros au titre du préjudice moral et 25.000 euros au titre du préjudice patrimonial.
Cour d’appel de Bourges, 1ère chambre, 22 août 2024, 23/00700