Le fait pour un salarié occupant des fonctions de direction de dissimuler une relation intime avec une salariée exerçant des mandats syndicaux constitue un manquement à l’obligation de loyauté et peut justifier un licenciement pour faute grave.
Faits : Un salarié cadre exerçant des fonctions de direction, chargé notamment de la gestion des ressources humaines disposant de diverses délégations de pouvoirs et présidant les différentes institutions représentatives du personnel, a été licencié pour faute grave.
Le motif ? Il n’a pas informé son employeur qu’il entretenait, depuis plusieurs années, une liaison amoureuse avec une salariée de l’entreprise bénéficiant d’un mandat syndical et d’un mandat de représentant du personnel. Cette salariée s’était en outre investie dans plusieurs mouvements de grève et d’occupation d’un établissement de l’entreprise.
L’employeur reproche au salarié un conflit d’intérêts et un acte de déloyauté. Car, dans le cadre de leurs fonctions et missions respectives, les tourtereaux ont été amenés à participer ensemble à des réunions sur des sujets sensibles où, par essence, ils défendaient des intérêts divergents.
Procédure : Le salarié a saisi le conseil de prud’hommes afin de contester le bien-fondé de son licenciement. Il estimait, d’une part, que celui-ci portait atteinte à sa vie privée et, d’autre part, ne pas avoir méconnu les obligations découlant de son contrat de travail. Il arguait également du fait que l’employeur ne justifiait d’aucun préjudice.
Pour rappel, il est de jurisprudence constante qu’« un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut, en principe, justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement de l’intéressé à une obligation découlant de son contrat de travail ».
La cour d’appel ayant retenu la faute grave, le salarié a formé un pourvoi en cassation.
Solution : La Cour de cassation commence par rappeler que des faits relevant de la vie privée d’un salarié ne peuvent, en principe, pas fonder son licenciement disciplinaire, à moins que les griefs reprochés constituent un manquement à ses obligations contractuelles.
Elle juge ensuite qu’« en dissimulant cette relation intime, qui était en rapport avec ses fonctions professionnelles et de nature à en affecter le bon exercice, le salarié avait ainsi manqué à son obligation de loyauté (…), ce manquement rendait impossible son maintien dans l’entreprise ».
Et ce « peu important qu’un préjudice pour l’employeur ou pour l’entreprise soit ou non établi ».
Conclusion : Suivant sa nature, la dissimulation d’une relation intime peut conduire à un licenciement pour faute grave à raison d’un manquement du salarié à son obligation de loyauté. En l’espèce, ce n’est pas la relation en elle-même qui est remise en question, mais le fait de l’avoir dissimulée à l’employeur, eu égard aux conséquences possibles qu’elle pouvait avoir sur le bon accomplissement de ses missions par le salarié.
Ni les juges du fond ni la Cour ne retiennent l’argument du salarié selon lequel sa liaison n’avait eu aucune conséquence dans l’exercice de ses fonctions – l’employeur n’arguant d’aucun réel préjudice en ce sens. Cet argument n’était pourtant pas dénué d’intérêt : une affaire de cœur qui ne prête à aucune conséquence pour l’employeur doit-elle pouvoir justifier un licenciement ? Oui selon la Cour, car seules sont appréciées en l’espèce les conséquences possibles que la liaison pouvait avoir.
Avec cet arrêt, la frontière entre vie personnelle et vie professionnelle est plus que jamais poreuse.
La décision nous apparaît d’autant plus contestable que la démonstration d’un préjudice pour l’employeur ou l’entreprise est parfaitement indifférente.
Néanmoins, il y a lieu de modérer la portée de cette jurisprudence, dans la mesure où la démonstration d’un manquement professionnel est exigée, lequel s’apprécie nécessairement au regard des fonctions exercées par le salarié.
A l’évidence, les salariés les plus exposés à ce type de sanction sont ceux occupant des postes à responsabilités, pour lesquels le risque de conflit d’intérêts est patent, et qui sont soumis à une obligation de loyauté renforcée.
Soc., 29 mai 2024, n° 22-16.218