L’action en diffamation contre la seule société éditrice de l’ouvrage littéraire
Deux arrêts contradictoires rendus récemment posent la question de savoir si des actions en diffamations peuvent être engagées devant la juridiction civile exclusivement contre la société éditrice d’ouvrages littéraires sans mise en cause du directeur de la publication ou encore des auteurs des propos diffamatoires. Deux solutions antagonistes ont été apportées par la Cour d’appel et la Cour de Cassation. La Cour de Cassation s’est prononcée le 16 octobre 2008 en affirmant que la victime d’une diffamation peut demander la réparation de son préjudice devant la juridiction civile, à une personne morale, l’éditeur désignant toute personne physique ou morale, éditant une publication.
La Cour de cassation vise les articles 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881. Rappelons que ces articles établissent les conditions de la responsabilité concernant les délits de presse en matière éditoriale. Ils instituent un régime de responsabilité en cascades en désignant comme premiers les « directeurs de publications ou éditeurs », puis à défaut les auteurs, puis les imprimeurs, et à défaut des imprimeurs les vendeurs, distributeurs et afficheurs.
D’autre part un article 43-1 a été inséré dans la loi du 29 juillet 1881 pour écarter la mise en cause des personnes morales dans le cadre de la « responsabilité en cascade » qui vient d’être décrite. Autrement dit la Cour de cassation en retenant que l’éditeur devait être considérée comme désignant en particulier une personne morale éditant un ouvrage, heurte directement les dispositions précitées. Un des enjeux, négatifs, de cette interprétation est le fait que la personne morale ne peut invoquer le bénéfice du texte (l’article 55) ouvrant droit à l’exonération de responsabilité par la preuve des imputations diffamatoires.
Cet article s’applique depuis 1994 (arrêt du 22 juin 1994) devant la juridiction civile, étant précisé que seul le prévenu est recevable à notifier une offre de preuve. La société civilement responsable – telle que la société éditrice de l’ouvrage par exemple – ne fait pas partie des personnes qui peuvent notifier cet acte de preuve. Autrement la solution de la cour de cassation aboutit à la possibilité d’assigner la seule société d’édition de l’ouvrage, sans que celle ne bénéfice de tous les droits de la défense. C’est pourquoi, même si elle s’inscrit dans une jurisprudence déjà fixée dans le même sens depuis le 25 novembre 2004 (qui énonce que « l’action contre la personne civilement responsable n’est pas subordonnée à la mise en cause, par la partie lésée, de l’auteur du dommage »), la décision récente de la cour de cassation fait l’objet de vives critiques. D’où une forte résistance des cours d’appel.
Comme en témoigne d’ailleurs la décision rendue quasi-simultanément par la Cour d’appel de Paris le 15 octobre 2008. Adoptant une motivation qui sera contredite le lendemain par la Cour de cassation, la cour d’appel énonce que « le législateur, lorsqu’il a introduit la généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales, a exclu expressément la responsabilité des personnes morales en matière de presse ; que tel est le cas des infractions de diffamation ou d’injure. »
La Cour rappelle ensuite que lorsque l’auteur du livre poursuivi est assigné au civil, la partie poursuivante doit le mettre en mesure de prouver la vérité des faits diffamatoires. Et la cour d’invoquer pour motiver sa décision, la loyauté des débats et le respect de la liberté d’expression. Autrement dit les juges du fonds estiment qu’on ne peut pas poursuivre la personne morale seule éditrice d’un ouvrage contrefaisant devant les juridictions civile, sous peine de violer les droits de la défense. Cet arrêt étant frappé de pourvoi, la Cour de cassation aura de nouveau l’occasion de se prononcer sur cette question. Il est intéressant de scruter cette évolution à l’aune des tentatives actuelles du législateur de dépénalisation de la diffamation.