ISABELLE WEKSTEIN
Une loi américaine autorisa désormais l’usage des photos, tableaux, ou dessins dont on ne connaît pas l’auteur. Ces « œuvres orphelines » sont non seulement des œuvres picturales, mais aussi des œuvres de l’écrit, les œuvres audiovisuelles ou sonores. Vaste problème auquel les bibliothèques, les centres d’archives et les radiodiffuseurs publics sont confrontés. Même si on ne connait pas précisément le nombre d’œuvres concernées on peut se référer au manifeste publié en 2006 par la British Library qui estimait que plus de 40% de ses fonds étaient constitués par des œuvres orphelines. Selon le conservateur à la Bnf Lionel Maure la France serait concernée de la même manière. La question est évidemment amplifiée par l’explosion de l’Internet et la numérisation croissante des œuvres.
Les œuvres orphelines ne sont pas définies dans le Code de la propriété intellectuelle. La loi DADVSI du 1 août 2006 est totalement muette sur le sujet. Il ne fait aucun doute cependant que ces oeuvres ne peuvent être exploitées et ni leur représentation, ni leur reproduction ne sont alors possibles tant qu’elles ne sont pas tombées dans le domaine public. Quelles solutions adopter pour permettre un accès à un patrimoine culturel dont les auteurs sont inconnus tout en respectant le droit d’auteur ?
L’absence de réglementation sur le sujet a conduit le Ministre de la Culture à demander au Conseil Supérieur de la propriété intellectuelle de lui remettre un rapport sur « la question des œuvres orphelines ». Ce dernier a rendu son avis le 10 avril 2008. Selon ce rapport une œuvre est dite orpheline « lorsqu’un ou plusieurs titulaires de droit d’auteur ou de droits voisins sur une œuvre protégée et divulguée ne peuvent être identifiés ou retrouvés malgré des recherches avérées et sérieuses ». La Commission du CSPLA opère une distinction entre l’audiovisuel et la musique d’une part pour lesquels il est proposé de renvoyer aux mécanismes existants de gestion collective et les œuvres de l’écrit et les images fixes d’autre part, pour lesquels il est proposé un régime de gestion collective obligatoire.
En pratique cela veut dire que les utilisateurs de ces œuvres pourraient obtenir une licence d’exploitation de la part de ces sociétés de gestion collective en contrepartie du paiement d’une rémunération fixée par ces dernières. Aux Etats-Unis, la chambre des représentants et le Sénat américains sont sur le point d’adopter une loi permettant l’exploitation des œuvres orphelines, alors même que les auteurs ou les ayants droit n’ont pas été identifiés, dès lors « qu’une recherche de bonne foi et raisonnablement minutieuse » a été menée sans succès. Cette loi sur les œuvres orphelines ou « orphan works bill » permet donc de reproduire, de transformer et de commercialiser une œuvre si certaines diligences ont été menées. Ce projet représente une avancée majeure pour les bibliothèques et les musées ainsi que pour les simples citoyens auxquels s’ouvre un nouveau monde artistique enfoui, à perte, au fil du temps. Un tel système doit cependant être mis en œuvre avec précaution. En effet, à partir du moment où une œuvre, principalement des dessins ou des photographies, seront accessibles sur internet et que l’auteur ne sera pas mentionné, il suffira à l’internaute de justifier d’une recherche raisonnablement conduite pour échapper à toute poursuite judiciaire. Sur le plan communautaire, de grandes consultations ont été organisées en 2005 concernant la numérisation et la mise en ligne d’œuvres.
En effet, dans le cadre de la Directive « i2010 : Bibliothèques numériques », il est ainsi envisagé de numériser un très grand nombre d’œuvres écrites et d’images fixes dont certaines sont « orphelines ». Doit-on améliorer les outils de recherches d’ayants droit, ou modifier la législation sur le droit d’auteur pour permettre une exploitation plus facile ou encore créer comme au Canada une Commission semi-judiciaire indépendante ?
Publications LIVRE HEBDO 07 novembre 2008