Parcours du combattant
De la difficulté de porter plainte pénalement. Les acteurs du monde de l’édition sont régulièrement confrontés à la loi pénale, qu’ils soient victimes ou auteurs d’infraction. La contrefaçon en matière de droit d’auteur et/ou les infractions de droit de la presse sont pénalement répréhensibles. Les praticiens sont souvent confrontés à un choix juridique et stratégique : poursuivre l’auteur de l’infraction devant une juridiction civile (pour obtenir « seulement » la réparation du préjudice) ou devant une juridiction pénale pour faire « en plus » sanctionner par une peine le comportement de l’auteur de l’infraction. La voix pénale est souvent utilisée pour faire un exemple mais aussi parce que la procédure pénale permet de mettre en œuvre des moyens d’investigations qui peuvent être considérables.
L’affaire d’Outreau a provoqué un tel choc qu’une commission d’enquête fut constituée par l’Assemblée nationale. Ses travaux aboutirent à l’adoption de deux lois en date du 5 mars 2007 qui modifient la procédure pénale sur certains points de manière assez substantielle. Le parlement a voulu, dit-on, lutter contre l’instrumentalisation stratégique du juge d’instruction aux fins de paralysie d’une instance civile et contre les plaintes avec constitution de partie civile déposées abusivement et de manière dilatoire. L’une des mesures essentielles introduites par la loi du 5 mars 2007 est relative à la recevabilité de la plainte avec constitution de partie civile.
Aux termes du nouvel article 85 du Code de procédure pénale, la plainte n’est recevable « qu’à la condition que la personne justifie soit que le procureur de la République lui a fait connaître […] qu’il n’engagera pas lui-même les poursuites, soit qu’un délai de trois mois s’est écoulé depuis qu’elle a déposé plainte devant ce magistrat ». Avant l’entrée en vigueur de cette loi, la victime d’une contrefaçon désireuse de s’engager dans la voie pénale pouvait déposer sa plainte en se constituant partie civile entre les mains du doyen des juges d’instruction. La victime pouvait ainsi déclencher les poursuites (même si celles-ci pouvaient le cas échéant aboutir à un non-lieu). Désormais, pour freiner les plaintes avec constitution de partie civile, le législateur a ajouté un obstacle lié à sa recevabilité.
Une victime devra donc déposer une plainte simple devant le procureur de la République ou un service de police alors qu’avant la loi elle pouvait saisir immédiatement le juge d’instruction. La nouvelle procédure risque de transformer la plainte avec constitution de partie civile en parcours du combattant.
Une exception importante à ce nouveau régime : il ne concerne pas les délits de presse prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881. Autre modification importante : les restrictions à la règle « le criminel tient le civil en l’état ». Ce principe édicté pour éviter les contrariétés de décision signifie qu’un juge civil devait surseoir à statuer dans l’attente de la décision du juge pénal saisi pour les mêmes faits. Cela dans le souci d’une bonne administration de la justice. Toutefois, dans certains cas, les plaintes pénales étaient utilisées de manière dilatoire pour retarder le procès civil.
Le troisième alinéa de l’article 4 précité dispose désormais : « La mise en mouvement de l’action publique n’impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu’elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d’exercer directement ou indirectement une influence sur le procès civil. » Ce texte est la confirmation d’une jurisprudence admettant le sursis à statuer de la juridiction civile quand le jugement rendu en matière répressive est susceptible d’influer sur la décision à rendre en matière civile (Cass. soc. 12 mars 1991, Bull. civ. V, n° 127). Enfin, à compter du 1er mars 2008, les pôles de l’instruction devraient permettre le travail en équipe des juges d’instruction pour les affaires délictuelles les plus complexes et pour toutes les affaires criminelles. Ces pôles de l’instruction permettront dès 2010 d’instaurer une véritable collégialité de l’instruction. Rachida Dati avait indiqué que l’ensemble des moyens nécessaires serait affecté dans les tribunaux dès le 1er mars 2008, afin de permettre aux juridictions de mettre en œuvre dans les meilleures conditions cette réforme de notre procédure pénale. L’absence de moyens dans la réalité et la manière désastreuse de la mise en œuvre de la nouvelle carte judiciaire ne peuvent que faire douter de l’efficacité de la réforme.
Publications CHRONIQUE JURIDIQUE – LIVRES HEBDO 16 avril 2008