L’exception de courte citation
L’application de l’exception de courte citation aux œuvres graphiques et plastiques fait-elle l’objet d’un revirement de jurisprudence ? . La cour d’appel de Paris (14e ch., sect. B) a rendu le 12 octobre 2007 un arrêt qui semble constituer un revirement de jurisprudence complet. La cour d’appel s’oppose en effet à la position constante de la Cour de cassation en retenant que l’exception de courte citation s’applique aux œuvres graphiques. Elle se fonde notamment sur l’article 5, 3, c de la Directive dite « société de l’information », qui instaure une exception à titre d’information, et également sur le nouvel article L.122-5,9° du Code de la propriété intellectuelle qui instaure cette nouvelle exception en droit français. S’agit-il d’un réel revirement ? Quel est désormais le régime applicable aux œuvres graphiques et plastiques ?
Rappelons que l’article L.122-5 dispose que « lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire […] 3° sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l’auteur et la source : a) les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées […] ». Ainsi, pour bénéficier de cette exception, plusieurs conditions sont exigées : la citation doit être brève, l’œuvre citante doit respecter le droit moral de l’auteur cité et elle doit avoir un but critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information. Une « jet skieuse nue ».
La jurisprudence a admis depuis toujours que l’exception de citations s’appliquait en matière d’œuvres littéraires. Pour les œuvres graphiques, la question était délicate puisqu’il est très difficile d’effectuer de brefs emprunts sans porter atteinte à l’intégrité de l’œuvre ; seule la reproduction intégrale ne la dénaturant pas. Un arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation a fixé le 5 novembre 1993 les règles en affirmant que « la reproduction intégrale d’une œuvre, quel que soit son format, ne peut s’analyser en une courte citation ».
La Cour de cassation avait en l’espèce cassé un arrêt d’appel estimant au sujet de la reproduction intégrale d’une gouache, d’un dessin et d’une aquarelle que « la réduction substantielle du format des œuvres permet d’en ravaler la reproduction au rang de simples allusions aux œuvres d’origine et de l’assimiler à de courtes citations s’incorporant au catalogue, œuvres à caractère d’information ». Il était depuis lors admis de manière constante que la reproduction intégrale d’une œuvre quel que soit son format ne pouvait s’analyser comme une courte citation. C’est pourtant le contraire qui est jugé par la cour d’appel le 12 octobre 2007 sur renvoi après cassation. En l’espèce, une revue avait publié en format (6 cm x 4,5 cm) une photographie d’une « jet skieuse nue » parue dans un premier temps en grand format (41 cm x 20 cm) dans le magazine Newlook. La cour d’appel retient, dans un premier temps, le 2 février 2005, que l’exception de citation s’applique et conclut à l’absence de contrefaçon invoquée par le magazine Newlook. Cet arrêt considéré à l’époque comme révolutionnaire est cassé le 7 novembre 2006. La Cour de cassation estime que la cour d’appel a violé l’article L.122-5-3°. La cour de renvoi résiste à la Cour de cassation en retenant, le 12 octobre 2007, qu’il n’y a pas contrefaçon.
La Cour se fonde sur le fait que la photographie dont il s’agit est estampillée « Newlook »… qu’elle illustre dans un magazine d’information, un texte polémique d’actualité immédiate relatant plusieurs « impostures » de la personne photographiée. Les juges se fondent également sur le fait que cette reproduction ne porte pas atteinte à l’exploitation normale du cliché et qu’il n’est en outre pas démontré qu’elle ait causé un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de la société exploitant le magazine Newlook. Certains auteurs ont vu dans cette décision un acte de résistance très ponctuel ne comportant aucune signification pour l’avenir. La lecture de l’arrêt fait cependant douter.
Même si la Cour oscille entre « exception de citation » et « exception d’information », elle rappelle que rien ne permet d’exclure les œuvres photographiques de l’article L.122-5-3° du CPI. Elle en déduit que rien n’interdit de reconnaître à la reproduction de l’œuvre, fût-elle intégrale, la qualité de courte citation. L’avenir seul pourra dire si ces affirmations sont de principe, mais il est possible que cette décision constitue un véritable revirement de jurisprudence.
Publications CHRONIQUE JURIDIQUE – LIVRES HEBDO 13 février 2008