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14 février 2022

Un bailleur doit il attenter à la vie privée de son locataire pour bénéficier d’un avantage fiscal ?

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La France souffre d’une pénurie de logements neufs destinés à la location. Le législateur s’efforce d’y remédier en empilant des dispositifs fiscaux incitatifs.

Le « dispositif Scellier » est ouvert aux contribuables domiciliés en France qui ont acquis entre 2009 et 2012 un logement neuf ou en état de futur achèvement « à condition qu’ils s’engagent à le louer nu à usage d’habitation principale pendant une durée minimale de 9 ans ».

Un contribuable est propriétaire d’un terrain à bâtir à Pessac (Gironde). En 2012, il y édifie une maison qu’il donne en location à usage exclusif d’habitation à une dame pour une durée de 9 ans. Il respecte ainsi toutes les conditions exigées pour bénéficier de ce dispositif tranquille, il déduit sur sa feuille d’impôt les droits afférents.

Mais un agent des impôts, procédant à un contrôle sur pièces de sa situation repère ce qui lui parait être une anomalie : la taxe d’habitation de cette maison est déclarée par une personne qui porte le nom de la locataire mais pas son prénom. L’agent pousse ses investigations et découvre que la locataire s’est déclarée fiscalement à Bordeaux. Cette dame n’occupe pas la maison dont elle est locataire et dont elle paye le loyer. L’occupant des lieux, c’est son père.

L’administration remet en cause de ce chef les droits à réduction et déduction d’impôt au motif « que le bien loué n’était pas affecté à usage de résidence principale du locataire ».

Le propriétaire fait valoir qu’il a rempli toutes les conditions pour bénéficier de l’avantage fiscal ; que l’administration ajoute une condition non prévue par la loi en imposant au propriétaire une conduction d’occupation effective des lieux par le locataire ; qu’il ne peut pas surveiller les conditions d’occupation de son logement ; qu’il ne peut pas être privé d’un avantage auquel il a droit à raison du manquement d’un tiers dont il n’est pas responsable.

La CAA de Bordeaux balaye cette argumentation : pour la Cour, le bénéfice de l’avantage fiscal est subordonné à la condition « objective » que le locataire fasse effectivement de l’immeuble qui lui est loué par le contribuable, son habitation principale. Au nom de cette « objectivité », les magistrats en déduisent que le propriétaire ne peut utilement soutenir qu’il ne disposait d’aucun moyen légal pour s’assurer de l’affectation du logement en cause à l’habitation principale et qu’aucune négligence ne pourrait lui être reproché.

Un propriétaire ne doit donc pas se fier aux apparences pourtant solides : un contrat de bail, des paiements de loyer.

Les magistrats ont-ils évalué les effets pratiques de leur jurisprudence ? 

Au regard de cette décision, le propriétaire qui veut bénéficier de l’avantage Scellier devra vérifier en permanence (chaque jour ?) pendant toute la durée du bail que son locataire occupe effectivement le bien loué. Il s’inquiétera de ses absences, s’alarmera de tout déplacement de meubles, vérifiera ses fréquentations, sondera ses projets. Faut-il recommander l’installation d’une caméra, la pose de micros baladeurs, des visites domiciliaires ? Et comment le propriétaire doit-il réagir si le locataire enfreint le bail ? Une expulsion manu militari ?

En considérant que le propriétaire désireux de bénéficier de l’avantage fiscal doit s’immiscer dans la vie privée de son locataire, l’arrêt bordelais ne fait-il pas une lecture de la loi contraire à la Constitution ?

Selon le Conseil Constitutionnel, le droit au respect de la vie privée est protégé par l’article 2 de la déclaration de 1789 (CC, 23 juillet 1999, n° 99-416 CC, cons 45). Ce droit peut être invoqué à l’appui d’une QPC (CC 30 mars 2012, n° 2012-227, QPC).

L’administration fiscale dispose légitimement d’un pouvoir d’ingérence et le contribuable ne peut, au nom du respect de la vie privée, s’opposer à la communication de données le concernant et qui permettent de déterminer sa contribution. Mais en l’espèce, il s’agit de tout autre chose : le contribuable est requis, pour bénéficier d’un avantage légal, de s’immiscer dans la vie privée d’autrui.

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Nicolas Philippe

CAA Bordeaux, 13 janv. 2022, n° 20BX01465