La neutralisation de l’injure par l’absence de dépassement des limites admissibles de la liberté d’expression
Par un arrêt n°17-86.605 rendu le 25 octobre 2019, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a affirmé que l’absence de dépassement des limites admissibles de la liberté d’expression justifiait l’absence de condamnation à des réparations civiles pour injure publique.
Une affiche représentant un excrément surmonté de la mention « X …, la candidate qui vous ressemble », avait été publiée par le journal Charlie Hebdo et diffusée lors de l’émission « On n’est pas couché ». La candidate visée par cette affiche a déposé une plainte avec constitution de partie civile pour « injure publique envers un particulier » sur le fondement de la loi sur la presse du 29 juillet 1881.
Par un premier arrêt, la Cour de cassation a estimé que « le dessin et la phrase poursuivis qui portaient atteinte à la dignité de la partie civile en l’associant à un excrément, fût-ce en la visant en sa qualité de personnalité politique lors d’une séquence satirique de l’émission précitée, dépassaient les limites admissibles de la liberté d’expression » (Cass., Crim., 20 septembre 2016, n°15-82.942).
La cour d’appel de renvoi n’a pas suivi ce raisonnement et a de nouveau débouté la partie civile. En conséquence, cette dernière a saisi la Cour de cassation car elle estimait que toute injure constituait une atteinte à la dignité humaine et, que dès lors, la cour d’appel n’avait pas à rechercher si au-delà de l’injure caractérisée en l’espèce, il existait une atteinte à la dignité.
En réponse, l’assemblée plénière rappelle que, conformément à l’article 10§2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, les restrictions apportées au droit à la liberté d’expression doivent poursuivre l’un des buts énumérés par cet article.
Or, la dignité de la personne humaine ne fait pas partie de ces buts et de plus, pour la Cour de cassation, « elle ne saurait être érigée en fondement autonome des restrictions à la liberté d’expression ».
En conséquence, pour déterminer si l’injure en cause peut être sanctionnée, il convient de rechercher si cette injure est constitutive d’un abus dans l’exercice de la liberté d’expression.
Par ailleurs, la Cour de cassation a rappelé que « l’exigence de proportionnalité implique de rechercher si, au regard des circonstances particulières de l’affaire, la publication litigieuse dépasse les limites admissibles de la liberté d’expression ».
En conséquence, en l’absence de dépassement des limites admissibles de la liberté d’expression au regard des circonstances de l’affaire, et alors même que l’injure serait caractérisée, cette injure ne pourrait donner lieu à des réparations civiles.
En l’espèce, il est rappelé que
- la ligne éditoriale du journal Charlie Hebdo est humoristique et satirique ;
- des affiches parodiant d’autres candidats à l’élection présidentielle avaient été montrées lors de la séquence de l’émission « On n’est pas couché » qui s’apparente à une revue de presse ;
- et mention avait été expressément faite que ces affiches, émanant d’un journal satirique, étaient polémiques en elles-mêmes.
Ainsi, pour la Cour de cassation « la cour d’appel, qui a exactement apprécié le sens et la portée de cette affiche à la lumière des éléments extrinsèques qu’elle a souverainement analysés, en a déduit, à bon droit que la publication litigieuse ne dépassait pas les limites admissibles de la liberté d’expression ».
Ainsi, l’injure, même lorsque ses éléments constitutifs sont caractérisés, peut être neutralisée par l’absence de dépassement des limites admissibles à la liberté d’expression. Cet arrêt ne concerne que les réparations civiles d’une injure mais il semble que la solution trouverait également à s’appliquer à l’action publique.