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28 novembre 2008

La parodie de marque

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ISABELLE WEKSTEIN

C’est la question à laquelle la Cour de Cassation tente de répondre le 8 avril 2008 dans deux affaires opposant l’association GREENPEACE aux sociétés AREVA et ESSO. Dans l’affaire ESSO, il était reproché à l’association GREENPEACE d’avoir reproduit sur son site internet la marque de cette société de la manière suivante : « E$$O ». Dans l’affaire AREVA, l’association GREENPEACE avait également reproduit sur son site internet des éléments de la marque AREVA en les associant à la mort. La question qui est ainsi posée est celle de savoir si une association qui a pour objet la protection de l’environnement et la lutte contre toutes les formes de pollution et de nuisance peut faire usage d’éléments d’une marque renommée distinguant des produits et services sous une forme modifiée résumant ces critiques dans un contexte polémique sans abuser de son droit de libre expression.

Est-elle au contraire coupable de contrefaçon par reproduction et par imitation de marques ou d’actes fautifs pour discrédit et dévalorisation de l’image de ces marques ?

Dans l’affaire ESSO, la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation a considéré que l’association GREENPEACE avait utilisé un « moyen proportionné à l’expression de telles critiques » et que son comportement n’était pas répréhensible. Cependant, la Cour de Cassation casse l’arrêt de la Cour d’Appel de PARIS car ce dernier a omis de rechercher si l’usage de la marque ESSO dans le code source du site n’était pas constitutif d’une faute au sens de l’article 1382 du Code Civil. Dans l’affaire AREVA en revanche, la Cour de Cassation décide que l’association GREENPEACE n’a pas abusé de son droit de « libre expression » en se fondant sur l’article 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme. En droit d’auteur il existe des dispositions qui réglementent la parodie. Ainsi, l’article L.122-5-4° dispose : « lorsque l’œuvre a été divulguée, l’auteur ne peut interdire… la parodie, le pastiche ou la caricature compte tenu des lois du genre ».

Cette exception est fondée sur la liberté d’expression. L’exception de parodie ne peut être évoquée que si l’intention humoristique est établie. Si l’importance de l’emprunt à l’œuvre pré existante est indifférente, il est fondamental que tout risque de confusion soit écarté. Il n’existe aucun texte similaire applicable en droit des marques et c’est donc la jurisprudence qui a défini les conditions dans lesquelles une marque pouvait être parodiée. Les juges semblent ainsi assez stricts en cas d’intention humoristique. Ainsi, dans une affaire LACOSTE (TGI 17 février 1990), le TGI de PARIS a condamné l’usage de la marque « ATTENTION J’ACCOSTE » accompagnée de deux crocodiles enlacés en retenant que « le droit de faire rire de l’œuvre d’autrui par le pastiche ou la caricature ne peut trouver application dans le domaine (des marques) strictement commercial, axé sur la recherche du profit ».

Dans le même esprit, le terme « istérix » a été jugé comme constituant une contrefaçon de la marque enregistrée « Axtérix » (TGI NANTERRE – 6 avril 1994). En revanche, les juges ont commencé à faire preuve de moins de sévérité dans des cas où la parodie de marque était inspirée par une intention critique ou contestataire. Ainsi, la Cour d’Appel de PARIS a considéré le 30 avril 2003 que les détenteurs du site « jeboycottedanone.com » avaient « inscrit leur action dans le cadre d’un strict exercice de leur liberté d’expression et dans le respect des droits des sociétés intimées dont les produits n’étaient pas dénigrés et que, d’autre part, aucun risque de confusion n’était susceptible de naître dans l’esprit des usagers » ; concluant qu’il n’y avait pas détournement de la marque Danone.

Dans les deux affaires AREVA et ESSO précitées, la Cour de Cassation a pris soin de rappeler que l’association GREENPEACE agissait conformément à son objet social (but d’intérêt général et de santé publique) et a appliqué le principe de proportionnalité en retenant que l’association GREENPEACE a utilisé des moyens proportionnés pour exprimer ses critiques face aux activités des deux sociétés demanderesses. Un pas de plus vers la primauté de la liberté d’expression sur d’autres droits.

Publications LIVRE HEBDO 28 novembre 2008